Salvatore Adamo : "Je n’oublie jamais d’où je viens"

“In French Please!”, son nouvel album d’adaptations de classiques anglo-saxons marque ses soixante ans de carrière. “Je vais bien et j’espère vivre encore quelques années”, rassure l’icône qui nous reçoit à domicile.

© Universal

Salvatore Adamo a tout juste vingt ans lorsqu’il décroche en 1963 son premier succès avec Sans toi ma mie. Soixante ans plus tard, il s’émerveille encore de la bonté du public, se réjouit de remonter sur scène après ses problèmes d’aphonie et dit tout son bonheur d’avoir travaillé avec Stephan Eicher sur “In French Please!”. Habitué à décliner l’amour sous toutes ses formes et à observer le monde dans ses propres chansons, il se fait cette fois l’interprète de Neil Young, Bob Dylan ou Elton John. Sublimé par des duos avec Jane Birkin (le sulfureux slow seventies I’m Not In Love de 10 CC), Daniel Auteuil ou Gaëtan Roussel, ce disque fait aussi forcément remonter à la surface des souvenirs personnels. Émotion et grands frissons.

Comment allez-vous?
Salvatore Adamo -
Je vais mieux, merci. J’ai été victime d’une aphonie. C’est un accident. Il a été provoqué en octobre 2022 au Chili, alors que j’étais en tournée. Je me promenais sur une grande avenue qu’on surnomme les “Champs-Élysées chiliens”, lorsque j’ai été pris dans une manifestation. La police a utilisé des gaz lacrymogènes et ça m’a irrité la voix. J’ai malgré tout assuré mes concerts au Chili, mais tout ça a provoqué une fissure dans une corde vocale. Je me remets grâce à des séances d’orthophonie.

Adapter Bob Dylan, Neil Young ou Elton John comme vous le faites sur “In French Please!”, cela tient de l’hommage, du fantasme ou du plaisir d’interprète?
C’est un mélange de tout ça. Il y a le simple plaisir d’adapter en français des chansons anglo-saxonnes que je jouais dans ma jeunesse, seul dans ma salle de bains ou avec deux ou trois copains. J’ai aussi envie de partager mon admiration pour ces artistes. Enfin, je vois aussi “In French Please!” comme un exercice de style plutôt agréable. Avec les années, il m’est de plus en plus difficile quand j’écris de trouver un thème que je n’ai pas encore abordé. Ici, je n’ai pas eu à réfléchir.

 

Pour quelqu’un de pudique comme vous, interpréter les chansons des autres, n’est-ce pas une manière d’en dire un peu plus sur vous-même?
Oui, je peux m’identifier à des histoires que je n’ai pas vécues ou imaginées. Je n’ai pas le grain de folie de Bob Dylan qui met plein d’humour dans la chanson I Want You (Je te veux) que j’adapte sur mon disque. Je n’aurais jamais pu écrire quelque chose comme ça. Il y a aussi L’homme de ma vie, une adaptation de Man Of The Hour composé par Pearl Jam. Ce titre figure dans la B.O. du film Big Fish de Tim Burton (2003). C’est l’histoire d’une relation entre un fils et son père affabulateur. J’ai bien sûr fait le lien avec mon propre père que j’ai perdu en 1966. Mon père était aussi affabulateur. Il avait une cicatrice sur le dos, il faisait croire qu’elle provenait d’un combat aérien alors qu’il n’a jamais volé.

salvatore adamo

Salvatore et son papa Antonio Adamo quelques mois avant son décès en 1966. © BelgaImage

En 1963, l’année de vos premiers succès, vous êtes en concurrence avec les Beatles. On ne trouve pas leurs chansons sur votre disque. Pourquoi?
J’avais fait des maquettes de Yesterday et Here Comes The Sun, mais je n’ai pas reçu l’autorisation de leur label pour les exploiter. J’ai toujours admiré les Beatles. Je les ai rencontrés en 1967 aux studios Abbey Road où je venais enregistrer un 45 tours. Je croise leur producteur George Martin dans les couloirs et il me dit: “Tu veux bavarder avec les Beatles? Ils t’attendent”. Quand je suis entré dans le studio, Ringo Starr était absent, c’est Paul McCartney qui était à la batterie et jouait l’air de La Marseillaise. J’ai cru qu’il voulait me faire plaisir en jouant l’hymne national français, pensant peut-être que j’étais Français moi-même. Six mois plus tard, les Beatles sortaient leur tube All You Need Is Love qui est introduit par La Marseillaise. J’étais très candide à l’époque…

Il y avait aussi les vedettes yéyé à l’époque. Vous vous entendiez bien avec elles?
Au début, avec des chansons comme En blue jeans et blouson d’cuir, j’étais un peu dans cette mouvance. On formait une grande famille. On faisait régulièrment des photomontages pour la revue Salut les copains où on se mélangeait. Un jour j’étais peintre et je dessinais Sylvie Vartan, un autre je me mariais avec Sheila. Johnny a toujours été bienveillant avec moi. Un soir à l’Olympia, il m’a fait la surprise de venir chanter Laisse tes mains sur mes hanches avec Sylvie Vartan.

Dans les karaokés au Japon, j’ai trois chansons en version japonaise.

Sur YouTube, on peut voir des scènes d’hystérie lorsque vous jouez au Japon et au Chili. Qu’est-ce qui s’est passé avec ces deux pays?
J’avais enregistré des chansons en espagnol et j’ai dû toucher une fibre au Chili. Je ne me l’explique pas autrement. Dès 1967, ils m’invitaient à jouer là-bas. Dans l’attitude du public chilien à mon égard, il y a un peu ce qu’on voit avec des rock stars. Les gens pleurent, crient, connaissent toutes les paroles. C’est bouleversant. On ne vit pas souvent ça. Au Japon, tout a commencé avec Fubuki ­Koshiji, la plus grande chanteuse populaire de l’époque. Elle a fait une version en japonais de mon titre Sans toi ma mie qui est devenu un énorme succès. Elle m’a invité en 1967 dans un show télé et le public m’a adopté. Dans les karaokés, j’ai trois chansons en version japonaise: Sans toi ma mie, Tombe la neige, En blue jeans et blouson d’cuir

Vous célébrez vos 60 ans de carrière. Vous vous dites parfois: “ce n’est pas normal d’être encore là?”
Je considère cette longévité comme un privilège, mais ça signifie aussi que d’autres ne l’ont pas. J’essaie de vivre ça le plus dignement possible sans abuser de cette sympathie que le public me démontre encore chaque jour. Souvent, les gens se confondent en excuses quand ils me demandent un autographe. Je leur réponds toujours: “Vous n’avez pas à vous excuser. Le jour où vous ne m’arrêterez plus dans la rue, je serai triste”.

Annie Cordy, Maurane, Grand Jojo, Arno… Ils sont tous partis. Avez-vous l’impression d’être un survivant?
Je suis arrivé à l’âge où on se demande qui sera le suivant. Si je devais partir aujourd’hui, on ne dira pas que je suis mort jeune. On dira plutôt “c’est comme ça, il a eu une belle vie”, ce qui est vrai. J’ai déclaré récemment que j’étais “prêt quoi qu’il arrive” et certains médias en ont rajouté. Mais je vous rassure, j’espère vivre encore quelques années.

Il y avait cette cloche qui sonnait lorsque le malheur survenait dans la mine. Avec, à chaque fois, cette angoisse de savoir quelle famille, quels voisins, quels amis allaient être frappés.

Depuis le mois de décembre dernier, vous êtes détenteur d’une carte d’identité belge. Après 75 années passées chez nous, qu’est-ce qu’il y a de plus belge en vous?
Mon sens de la dérision. Mais avec le surréalisme, ce sont deux points communs que la Belgique et la Sicile partagent. Il y a cette manière “de ne pas la ramener” qui est typiquement belge. Cela vient de la première partie de ma vie, lorsque je vivais avec mes parents dans les baraquements à Jemappes, à côté de la mine. Nous avions du mal à joindre les deux bouts. Le danger nous guettait à chaque instant. Il y avait cette cloche qui sonnait lorsque le malheur survenait dans la mine. Avec, à chaque fois, cette angoisse de savoir quelle famille, quels voisins, quels amis allaient être frappés. Et croyez-moi, cela arrivait souvent. Ce genre d’expérience vous met sur les rails pour toute votre vie. Je n’oublie jamais d’où je viens.

Vous chantez “C’est ma vie, c’est elle qui m’a choisi”. Qu’y changeriez-vous si c’était à refaire?
Je consacrerais plus de temps à ma famille et mes amis. Au cours de ma carrière, je suis allé 38 fois au Japon pour chanter. Lors d’un de ces séjours, j’y suis resté six semaines d’affilée. Un jour, je me promenais à l’extrême nord du Japon, le long d’un fleuve gelé dont j’ignorais le nom. Je me disais: “mais qu’est-ce que tu fous là?” J’ai toujours été sincère en promettant à mes proches qu’on allait se voir “très bientôt”, mais ça ne m’a pas empêché de repartir à chaque fois. J’en suis conscient et ça m’embarrasse.

Si vous ne deviez retenir qu’une seule chanson de votre répertoire, ce serait?
Tombe la neige. La chanson préférée de mes parents. Elle m’a ouvert toutes les portes, notamment au Moyen-Orient. Le paradoxe, c’est que la chanson raconte un rendez-vous manqué à cause de la neige. Si j’avais vécu au Canada, où ils sont bien équipés contre les chutes de neige, je ne l’aurais sans doute pas écrite.

Le  25/5, Casino, Ostende.
Les 27 et 29/10, Théâtre Royal, Mons.
Le 1/11, Ancienne Belgique, Bruxelles.
Le 4/11, Cirque Royal, Bruxelles.

Débat
Sur le même sujet
Plus d'actualité