Christine and the Queens : "Je suis un mec honnête"

Entre transidentité et exploration esthétique, entre blues électronique et complaintes quasi mystiques, l’artiste publie “Paranoïa, Angels, True Love”, album-fleuve qui questionne les limites de la pop. Il sera le 2 juillet à Rock Werchter.

christine and the queens
© Jasa Muller

Dans le paysage de la pop, Christine And The Queens est sans doute l’artiste qui cristallise le mieux les questionnements et les étonnements, voire l’incompréhension, suscités par le courant de pensée “queer”. Le mot - qui signifie “bizarre” en anglais - désigne un mouvement qui s’attache à augmenter la visibilité des personnes ne se reconnaissant pas dans le schéma hétéronormé et s’appliquant à déconstruire le genre. Le genre - féminin et masculin - serait une construction culturelle dictée par la société patriarcale n’envisageant le monde qu’à travers le prisme de la binarité afin de mieux protéger le pouvoir des classes dominantes. Pour beaucoup d’activistes queer, nous assistons à une révolution des corps…  Une marche à laquelle prend part Christine And The Queens dont la transidentité (il se définit au masculin et se fait appeler Red) influence évidemment la musique - de plus en plus radicale, de moins en moins ­commerciale. La preuve par ce disque-fleuve “Paranoïa, Angels, True Love” qui aligne vingt chansons, déployant un univers qui tient à la fois de l’objet de design sonore et du monolithe.

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Bowie disait que c’est à l’endroit où on a peur qu’il faut travailler, explique-t-il.  Alors, commercial… J’ai décidé de protéger mon travail de ça. Je l’ai dit à ma maison de disques qui a fini par comprendre. Ils ont envie de tirer de moi des jingles publicitaires, je comprends, mais ça ne m’intéresse pas.”  Odyssée atmosphérique dans l’intimité d’un homme nouveau, le disque cite pourtant ses références - Marvin Gaye, Pink Floyd, Portishead, Massive Attack -, et laisse entendre (sur trois titres) la voix d’un fantôme, celui de Madonna dont les récitatifs poétiques - comme venus d’hier - semblent valider les combats de la nouvelle génération. L’écriture s’affirme dans sa dimension énigmatique - entre rêve diurne, errement cérébral et onirisme politique -, trouble et déroute autant que les multiples changements de nom de l’artiste, passé de Christine And The Queens (pour l’album initiatique “Chaleur humaine” en 2014) à Chris (pour l’excellent “Chris” en 2018), et puis de Chris à Redcar (pour le bel album “Les adorables étoiles” l’an dernier), et maintenant de Redcar à Christine And The Queens…

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Votre album est baptisé “Paranoïa, Angels, True Love”. Ce sont les états que vous avez traversés ces derniers mois?
Christine And The Queens -
Oui, Monseigneur! La paranoïa, je l’ai vécue avec Redcar - j’ai subi cette blessure au genou lors d’une répétition, je n’arrivais plus à parler à personne, j’annulais toutes les interviews. Mais ils comprendront en 2026 que je suis un mec honnête. Dans mon art, j’ai toujours été un mec honnête. Tous mes noms ne correspondent pas à des personnages, c’est moi…

Pouvez-vous concevoir que ces changements de nom ont pu déboucher sur une certaine incompréhension ou une forme d’illisibilité?
J’ai conscience qu’il y a eu des imperfections dont j’ai aussi souffert. J’en ai souffert le premier, de ce gap entre le public et ce que je cherchais à faire com­prendre. En tant que performer, j’aime profondément le public qui est capital. Tout ce que je fais, c’est par amour du public. Et le temps me donnera raison.

C’est une douleur de ne pas être compris…
Ma pratique est éminemment liée à mon honnêteté, et ma musique est plus lucide que moi. J’ai toujours mis l’honnêteté en avant, j’ai toujours cherché la coïncidence avec l’autre, et quand j’ai été incompris, j’ai enduré. Oui, parfois, j’ai été triste car j’ai besoin des autres pour créer l’alchimie. Un homme de ­théâtre sans le public, c’est un fou.


Dans Full Of Life, on entend le Canon de Pachelbel qui, à l’origine, est une marche nuptiale. Qu’aviez-vous envie de marier, d’unir et de réunir sur cet album?
Moi dans ma voix.  Un peu comme Björk quand elle chante “My name Isobel, married to myself”. Je voulais exprimer une forme de dignité, un mariage avec ma vérité d’homme, un mariage avec le sens profond de la musique. La marche nuptiale du Canon de Pachelbel, je ne l’ai découverte qu’après avoir imaginé la chanson. J’ai pensé à cette chanson, un matin, avec ma meilleure amie dans une maison de Los Feliz, et je ressentais un sentiment de deuil - deuil du passé, deuil des choses perdues car on ne s’est pas assez aimé, deuil de ma mère et des conversations que je n’aurai pas avec elle. Et de cette ­mélancolie-là est venu ce truc lumineux de la dignité.

Comme influence, vous citez Angels In America, la pièce emblématique de Tony Kushner de 1991 qui brasse les thèmes de la maladie, l’homosexualité, l’invisible, la foi, les politiques du sexe…
Je viens du théâtre (il a fait le conservatoire d’art ­dramatique de Lyon en 2008 - NDLR) et j’avais découvert le texte de la pièce plus jeune. Un texte que j’adorais et qui me faisait penser à Jean Genet dans cette sorte d’embrassade à l’humanité.  La pièce parle de personnages malades du sida qui, à l’époque, passait pour la punition adressée aux gays. J’ai relu le texte pendant le confinement et j’ai vu la série adaptée par Mike Nichols, je me suis dit que j’allais m’en emparer - un peu - à cause des anges qui viennent visiter les personnages de la pièce. Les anges comme terrifiantes apparitions qui percent à travers tout, au moment où je commençais à prier le souvenir de ma mère  (sa mère est morte en 2019, il avait annoncé cette disparition sur Twitter - NDLR). Ma mère était ­professeur de français et de latin-grec, elle m’a appris la mythologie. À sa mort, j’ai cru ne pas y arriver, mais ça va…

© Jasa Muller

Madonna est présente sur votre album. À une époque, on disait qu’elle avait fait plus pour le féminisme avec trois albums que des dizaines de livres. Qu’est-ce qu’elle représente pour vous?
Pour moi, Madonna est un poète. C’est un lord anglais réincarné dans le corps d’une femme. Le karma de ce lord était de devenir une pop star. Madonna est révolutionnaire, prenez l’album “Erotica” (sorti en 1992 - NDLR) ou le livre Sex (paru également en 1992 - NDLR), on n’a pas fait mieux pour tordre le patriarcat. C’est l’histoire d’une femme qui se transforme en créature surpuissante.

Il y a quelques années, en tant qu’homme trans, j’aurais été diagnostiqué comme malade mental.

Revendiquez-vous l’appartenance de votre musique à la culture queer?
Oui, car je suis un homme trans. C’est important d’être honnête, ça fait partie de mon travail d’être courageux. Depuis que j’ai 12, 13 ans, je me suis toujours reconnu dans ces endroits-là, je pleurais pour ces gens-là parce que j’en étais. J’étais ­dysphorique depuis mes 12, 13 ans.  Mon cauchemar a été la non-coïncidence avec moi-même puisque je ne savais pas qui j’étais, et quand on ne s’aime pas pleinement, on souffre. J’ai eu à combattre la peur et la honte. Il y a quelques années, en tant qu’homme trans, j’aurais été diagnostiqué comme malade mental, mais je ne suis toujours pas un égal dans cette société…

Vous avez été la cible d’attaques violentes. Vous avez publié un message pour que cesse le harcèlement dont vous étiez l’objet.  La violence des réseaux à votre encontre est-elle la même que subissent tous les artistes exposés ou est-elle dirigée contre ce que vous incarnez?
J’avais fait ce message pour essayer de clarifier et de préciser une intention. Tout corps est politique, surtout dans l’espace médiatique qui est déjà une interprétation du réel avec ses valeurs morales.  Mais j’ai été plus attaqué car en tant que personne trans, mon corps est plus politisé. Il appartient à une minorité et il subit des inégalités. Je ne suis pas encore invité à table comme citoyen égal - et pourtant, nous avons toujours été là. Mais ce qui était le plus insuppor­table dans ma vie, c’était la violence sourde qui m’habitait quand je n’étais pas moi-même.

Le 2/7, Rock Werchter.

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