Marcus Miller au Gent Jazz Festival : "Miles Davis m’a remercié de l’avoir ramené à sa place"

Complice de Miles Davis, visionnaire du groove et figure incontournable dans le paysage musical, le bassiste de Brooklyn joue au Gent Jazz Festival le 7 juillet. Conversation avec une quasi-légende.

Marcus Miller
© Belga Image

Bassiste, producteur et arrangeur, Marcus Miller, 64 ans, a posé sa signature sonore sur plus de 600 disques. Michael Jackson, Beyoncé, Luther Vandross, Frank Sinatra, Jean-Michel Jarre ou encore Wayne Shorter ont fait appel à lui. À 27 ans, il s’inscrit dans la légende jazz en composant le chef-d’œuvre “Tutu” pour Miles Davis qui, évoquant sa concentration en studio, disait “c’est effrayant”.  En solo, ce génie à la créativité débridée a signé des soundtracks et des disques malaxant funk, jazz, électro et hip-hop, imprimant à chaque fois sa propre vision du monde. Entretien avant son passage au Gent Jazz Festival qui - du 5 au 15 juillet - accueille Norah Jones, Gregory Porter, Herbie Hancock, Nils Frahm et Catherine Graindorge.

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Votre père William Miller était organiste et directeur de chorale. En quoi vous a-t-il influencé?
Marcus Miller - Je lui dois tout. Dès mon enfance, il a créé un environnement où la ­musique était présente au quotidien. Ce n’était pas un passe-temps pour le samedi soir ou l’office religieux dominical. Pour nous, la musique était aussi essentielle que la respiration. Tous mes ­souvenirs d’enfance sont bercés des notes de piano que mon père jouait.

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Funk, hip-hop, rock… Vous avez exploré tous les genres au grand dam des puristes qui vous reprochent de ne plus faire tout à fait du jazz. Réaction?
C’est marrant que vous qualifiiez ces gardiens du temple de “puristes”. Le jazz n’a jamais été “pur”.  Ceux qui disent ça réécrivent l’histoire. Le jazz est né d’un mélange d’influences africaines, européennes, latines et caribéennes. Je crois que la musique vient d’abord de celui qui la joue. On essaye ensuite de coller des étiquettes et après, hélas, certaines personnes se croient investies d’une mission consistant à décréter ce qui est jazz ou ne l’est pas. La musique que je joue est une fusion de différents éléments, dont l’un d’entre eux est le jazz, notamment pour tout ce qui est lié à l’improvisation. Mais ça ne s’arrête pas à ça.

En 1986, à 27 ans, vous avez composé, joué et arrangé le chef-d’œuvre “Tutu” de Miles Davis. Quels sont vos souvenirs de cette collaboration?
Dès la première note de trompette jouée par Miles en studio, je me rappelle m’être dit “Cet album va être spécial. Non seulement pour Miles, mais pour toi aussi”. Je me vois encore écouter le mixage final de l’album et penser que “Tutu” allait changer le cours de la musique. Je me rappelle encore une version incroyable de Tutu jouée par Stevie Wonder à New York, peu de temps après la sortie de l’album. C’était comme si Stevie avait validé notre audace. Enfin, je n’oublierai jamais les mots de Miles Davis. Il m’a remercié “de l’avoir ramené à sa place”.

Avec le soundtrack “Siesta”, en 1987, vous lui avez fait renier sa parole de ne jamais se répéter. Pourquoi?
Je voulais des arrangements flamencos pour ce film de Mary Lambert (un navet avec Jodie Foster - NDLR) dont la trame se déroulait en Espagne. Comme il ne s’agissait pas d’un disque “officiel” de Miles Davis, il a accepté pour la première fois de retourner dans son passé et de rejouer de la trompette dans un style faisant écho au son de Sketches Of Spain enregistré en 1959 avec Gil Evans. Miles y a pris énormément de plaisir et nous avons dédié le soundtrack à Gil Evans. Ce fut l’occasion pour Miles, pourtant du genre taciturne, de me raconter plein d’anecdotes sur son passé. Un ­merveilleux souvenir.

Vous avez invité notre compatriote Selah Sue sur votre dernier album “Laid Back” paru en 2018. Comment l’avez-vous rencontrée?
Mon manager Bernard Dulau m’a fait découvrir ses albums. J’ai joué avec Selah dans un All-Star Band à Monaco, avec notamment Booker T., Joe Satriani, Manu Katché et Trombone Shorty. Tout le monde a été scotché par sa voix, ­notamment sur le rappel où elle a improvisé un blues incroyable. C’est dans les coulisses de Monaco que je lui ai proposé de venir chanter le standard Que Sera Sera sur mon album “Laid Back”. Elle a un don. Rien n’est forcé, tout est fluide dans sa voix.

Quels artistes vous inspirent aujourd’hui?
Le bassiste californien Thundercat, le chanteur soul de La Nouvelle-Orléans PJ Morton, la ­chanteuse jazz du Bronx Samara Joy ou encore la chanteuse et flûtiste de Detroit Lizzo.

Quel serait votre fantasme musical ultime?
J’aimerais composer un jour une œuvre montrant comment d’anciens esclaves afro-américains ont été les premiers à mélanger les différents éléments qui ont donné naissance au jazz. C’est un projet ambitieux mais il en vaut la peine.

Le 7/7, Gent Jazz, Gand. www.gentjazz.com

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