
Décès Jane Birkin : notre dernière rencontre en 2022. "Que rêver de plus dans une vie?"

De passage à Bruxelles le samedi 12 février 2022, pour remettre un Magritte d’honneur à la cinéaste disparue Marion Hänsel qui lui avait offert l’un de ses plus beaux rôles dans Dust (1985), Jane Birkin nous avait accordé un long entretien. Passionné, décousu, humain, comme toujours. Quelques minutes après notre rencontre, Jane était allée “embrasser” son pote Arno qui allait disparaître un mois plus tard des suites d’un cancer. Comme le chanteur ostendais, Jane Birkin était alors en pleine convalescence. Déjà affaiblie dans les années 2010 par la leucémie, elle avait été victime d’un AVC durant l’été 2021. Cela ne l’empêchait pas de reprendre la route pour défendre l’excellent “Oh! Pardon tu dormais…”, album réalisé avec Étienne Daho où elle avait coécrit les treize chansons, trouvant les mots justes pour surpasser le chagrin causé par la mort de sa fille Kate Berry en 2013 et pour goûter à nouveau à la vie. Le succès documentaire de Charlotte Gainsbourg "Jane par Charlotte", représentait aussi pour elle un bien fou.
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"Cette tournée (qui est passée par le Cirque Royal le 13 avril 2022, et à La Louvière le 27 février 2022, ndlr), ce n’est que du bonheur", nous confiait-elle. Je suis toujours bien accueillie dans les salles où je joue, le public est chaleureux, je voyage avec mon assistant Christophe et mon bulldog. Que rêver de mieux dans une vie? Je me suis reposée sur les envies d’Étienne Daho. Je chante ce qu’il voulait entendre. C’est un ami, mais il a aussi une approche de fan. Il souhaitait que je reprenne plusieurs chansons d’”Histoire de Melody Nelson”. Il avait aussi envie que j’interprète Jane B, Ex-fan des sixties, Di Doo Dah. Étienne m’a également suggéré de garder mes cheveux raides, de commencer par le nouvel album qu’on a fait ensemble et de remonter ensuite le fil du temps en restant fidèle aux orchestrations originales. »
Qu’est-ce que ça vous a fait de reprendre sur scène “Histoire de Melody Nelson” cinquante ans après sa création par Serge Gainsbourg?
Je me rends compte que j’étais Melody Nelson quand Serge a composé cet album. Certes, j’étais enceinte de Charlotte et je n’avais pas “14 automnes et 15 étés” comme il l’a écrit dans la chanson Ballade de Melody Nelson. Mais c’était bien moi: la silhouette, l’accent anglais, le côté garçon, le fantasme qu’elle suscite chez le narrateur. J’ai une vraie légitimité pour interpréter des morceaux de cet album, mais je ne m’en rendais pas compte avant qu’Étienne Daho me suggère d’interpréter ces chansons sur cette tournée en 2022. Dans la salle, les gens ont l’air heureux, je vois leur petit téléphone briller dès que je dis “ça c’est l’histoire de…”. Même quand je fais le soundcheck l’après-midi dans la salle vide, les techniciens s’arrêtent de bosser pour écouter.
Comment êtes-vous ressortie des trois années de tournage du documentaire Jane par Charlotte réalisé par votre fille?
L’idée vient de Charlotte. Avec le recul, je vois ce documentaire comme une excuse pour nous voir plus souvent. Charlotte est partie vivre six ans à New York, à un moment délicat pour moi. Je venais de perdre Kate (Kate Barry, la fille de Jane et de John Barry, décédée le 11 décembre 2013 - NDLR) et j’étais à l’hôpital à cause de la leucémie. Même quand Charlotte était à Paris, on se voyait peu. Mais là, avec une caméra qui nous filmait, nous avons pu nous dire certaines choses plus facilement, des choses parfois très intimes que nous ne parvenions pas à exprimer en temps normal. J’ai ainsi compris qu’à un moment donné, elle se sentait jalouse de sa demi-sœur Lou (Lou Doillon, fille de Jane et du réalisateur Jacques Doillon née en 1982). Peut-être que pour Charlotte, ce documentaire a permis d’établir un autre rapport avec moi comme ça lui est arrivé avec son père. Serge était très pudique dans la vie de tous les jours. Mais c’est en écrivant la chanson "Lemon Incest" et l’album “Charlotte For Ever” qu’il lui a montré tout son amour. C’est en présence de la caméra, lors du tournage du clip de "Lemon Incest", qu’il l’a prise dans ses bras tendrement. Je ne crois pas qu’il faisait ça souvent quand il se retrouvait seul avec elle.
Vous vous attendiez à un tel succès pour le documentaire?
Si le documentaire "Jane par Charlotte" fait 400.000 entrées en France, c’est parce que ça parle d’une relation mère-enfant dans laquelle tout le monde peut se retrouver. Ce n’est pas un film intime sur l’histoire de Jane Birkin et Charlotte Gainsbourg. Plusieurs personnes me disaient à la sortie des projections: “Je dois appeler ma mère tout de suite, j’ai des tas de choses à lui dire”. Charlotte et moi, nous sommes heureuses car le succès nous a donné encore davantage d’occasions de nous voir lorsqu’on nous a demandé des interviews.
Le Musée Gainsbourg va ouvrir ses portes en 2023, dans la maison de la rue de Verneuil, à Paris, où vous avez vécu avec Serge.
Cette maison était déjà un musée quand j’y vivais avec Serge. Je ne pouvais déplacer aucun objet. C’est Charlotte qui s’est occupée de ce projet. Je n’en fais pas partie, mais je pense que les gens vont être contents de découvrir ce lieu qui n’a pas changé depuis sa mort. Bien avant de quitter Serge au début des années 80, j’en avais marre de cette demeure. Je voulais avoir ma chambre, mon espace, ma liberté. À un moment, pour me garder, Serge avait même imaginé que je loue un appartement en face et qu’on le relie par un tunnel…