
Blur: "Cette magie 'd’être dans un groupe' disparaîtra un jour"

La pochette de “The Ballad Of Darren”, neuvième album de Blur, et leur premier depuis “The Magic Whip” en 2015, montre un homme nageant dans une piscine en bord de mer à Gourock, en Écosse. “Ce cliché du photographe Martin Parr résume parfaitement le disque, souligne Dave Rowntree, batteur de la formation londonienne que nous avons interviewé par Zoom. Il y a quelque chose de sécurisant quand tu regardes le ciel bleu et la piscine, mais c’est aussi inquiétant, car la mer, derrière le nageur, est particulièrement agitée. En Écosse, des histoires racontent que des requins rôdent à cet endroit.”
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Sublimé par les guitares pop scintillantes de Graham Coxon (Barbaric, The Narcissist), mais aussi par un piano mélancolique omniprésent (le très Beatles The Ballad, The Heights), “The Ballad Of Darren” renoue avec l’insouciance britpop de la grande époque de Blur tout en reflétant un constat amer dressé par son leader Damon Albarn, grand opposant au Brexit et au repli sur soi de l’Angleterre. “Les paroles de Damon reflètent très justement la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Il y a de l’amertume, des regrets et de la nostalgie mais aussi l’envie d’avancer.”
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Comment a été initié ce retour surprise de Blur?
Dave Rowntree - Tout vient d’un appel d’un promoteur qui remonte bien avant le Covid. Il nous propose de jouer au stade de Wembley. Une première pour Blur. Une date est finalement programmée, le 8 juillet 2023. Dès la mise en prévente, c’est la ruée sur les tickets. On rajoute un deuxième concert à Wembley, on reçoit ensuite une offre pour nous produire au Primavera à Madrid, et puis aux Pays-Bas, en France et en Belgique… D’un simple one shot, c’est devenu une tournée et c’est comme ça que l’idée d’enregistrer un album s’est imposée.
Quelle était l’ambiance lorsque vous vous êtes retrouvés tous les quatre?
En décembre dernier, peu avant la Noël, la première chose qu’on a faite, c’est jouer de la musique ensemble pour voir si la magie était toujours présente. Cela faisait longtemps que ce n’était plus arrivé. Notre dernier concert avec Blur remontait alors à 2015. C’était un sentiment bizarre, un peu comme si nous auditionnions pour retrouver le job que nous avions quitté voici huit ans. On ne va pas se mentir… Nous savons qu’à nos âges respectifs, cette magie “d’être dans un groupe” disparaîtra un jour. Mais là, elle était au rendez-vous.

Alex James, Graham Coxon, Dave Rowntree (debout) et Damon Albarn en studio à Londres. © Reuben Bastienne-Lewis
Après toutes ces années, apprenez-vous encore quelque chose de neuf en jouant ensemble?
Comme batteur, j’en apprends toujours plus sur les techniques d’enregistrement en studio. Sur un plan émotionnel, ce sont les paroles de Damon qui m’ont transporté. Les chansons qu’il a écrites durant la dernière tournée de Gorillaz (l’un des nombreux projets parallèles de Damon Albarn - NDLR) pouvaient être destinées à un album de Blur. Elles ont un effet cathartique. Le retour aux fondamentaux, le propos qui capture parfaitement le moment présent… Tout ça nous a libérés. Je me disais: “Voilà pourquoi j’ai commencé à faire de la musique. Voilà pourquoi j’ai voulu faire partie d’un groupe quand j’étais adolescent, voilà pourquoi Blur reste le truc le plus fort de tout ce que j’ai fait comme musicien”.
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Avez-vous encore besoin de beaucoup vous parler après toutes ces années?
Le studio n’est pas vraiment l’endroit où nous avons l’habitude de faire la causette. Ce n’est pas d’une grande aide quand nous jouons. On se connaît, on se fait des signes, des petits gestes et nous nous comprenons. Blur n’a jamais été du genre à passer des heures à fumer des clopes et boire des cafés en brainstormant sur les chansons.
L’immédiateté pop, la mélancolie et les références insulaires chères à Blur se retrouvent dès les premières notes de ce neuvième album. C’est votre signature?
Je crois que ce qui fait une chanson de Blur provient de la connexion entre les quatre membres du groupe. Si tu écoutes Gorillaz, les projets personnels de Graham (Coxon, guitariste), d’Alex (James, bassiste) ou les miens, ça ne ressemble en rien à du Blur classique. Mais quand tu nous mets ensemble dans la même pièce, ça sonne de manière particulière. Cela fait des décennies qu’on joue ensemble, ça reste un projet de groupe et il n’y a qu’en groupe qu’on peut avoir la signature Blur que tu évoques.
L’urgence qui ressort de l’album est-elle aussi due à la tournée qui était déjà programmée avant l’enregistrement du disque?
Oui, ça a joué. Nous avons commencé à enregistrer en janvier et l’album devait sortir au début de l’été pour coïncider avec la tournée. Tout est allé très vite. Ici, on a dû aller à l’essentiel. Nous avons tout focalisé sur les chansons. Quand on a sorti notre premier single The Narcissist, il n’y avait pas de clip tout simplement parce que nous n’avons pas eu le temps de le tourner. C’est une première pour Blur…
Vous avez déclaré à l’hebdo anglais New Musical Express que l’incertitude faisait partie de la terreur consistant à être membre de Blur. Ça signifie quoi?
J’ai déclaré ça dans le contexte du stade de Wembley. Jouer à Wembley, c’est un rêve de gamin. Il se réalise alors que j’ai 59 ans. Quand on t’annonce ça, tu dois mettre tout le reste entre parenthèses. J’ai sorti un album solo, “Radio Songs”, en janvier dernier et je comptais partir en tournée solo. J’ai dû tout reporter. Voici six mois, on ne mesurait pas encore l’ampleur de la tournée et nous n’avions pas encore enregistré “The Ballad Of Darren”. Cette incertitude donne du piment mais elle peut être terrifiante aussi. Être musicien est un métier où tu commences toujours par une page blanche. O.K., tu maîtrises la technique, mais tu repars toujours de zéro lorsque tu t’assieds derrière ta batterie. De plus, les occasions de jouer avec Blur sont de plus en plus rares. Donc lorsque sonne le rappel des troupes, il faut être à la hauteur et être bon dès le premier jour. Pour moi, c’est à la fois grisant et angoissant.
En 2024, Blur célébrera son trente-cinquième anniversaire. Fier du chemin parcouru?
Je suis fier d’être passé par toutes les émotions avec Blur. Quand on a commencé en 1989, ce n’était pas du tout tendance de faire de la pop avec des guitares. Les médias et le public n’en avaient que pour l’électro, le grunge de Seattle ou les groupes de la vague Madchester (Stone Roses, Happy Mondays, Primal Scream…). Nous étions des outsiders. On se retrouvait sur un petit label de pop indie, entourés de groupes torturés et frustrés de n’avoir aucune reconnaissance. Le climat n’était pas apaisé, mais au moins, on s’amusait. Et puis, il nous est arrivé ce truc complètement irrationnel avec notre troisième album “Parklife” en 1994. Du jour au lendemain, Blur jouait la musique que tout le monde voulait écouter. Les fans nous attendaient devant nos maisons en criant, chaque single qu’on sortait était numéro 1 en alternance avec ceux d’Oasis. Les médias en faisaient une compétition comme au bon vieux temps où il fallait choisir entre les Beatles ou les Rolling Stones. Ça a pris des proportions énormes. C’était très étrange, mais ça valait la peine d’être vécu.
Vous sentez-vous obligés aujourd’hui de jouer tous vos hymnes britpop sur scène?
Quand on a une carrière comme celle de Blur, il y a des privilèges comme celui de n’avoir plus rien à prouver, mais il y a aussi des responsabilités, comme celle d’être à la hauteur des attentes. Nous savons que les gens qui achètent un ticket pour Blur ne veulent pas rentrer chez eux après le concert sans avoir entendu Song 2, Country House et Girls & Boys. On ne prend pas ça comme une obligation, car ce sont des chansons qui nous définissent et qu’on aime jouer. Mais nous proposons aussi d’autres titres et au moins les deux singles extraits de notre nouvel album. L’idée de cette tournée, c’est de se faire plaisir, de faire plaisir et de montrer “comme au bon vieux temps” que Blur peut être Blur sans ajouter une section de cuivres, des tas de claviers et des invités.
Le 8/8, Lokerse Feesten, Lokeren.