Jean-Jacques Goldman raconté par ses collaborateurs : "Il venait à Bruxelles en train, sans garde du corps"

Ils l’ont accompagné dans les médias, ont monté ses spectacles ou organisé ses concerts belges. Vingt ans plus tard, ils racontent cette star qui rêvait d’être un homme normal.

Jean-Jacques Goldman raconté par ses collaborateurs :  Il venait à Bruxelles en train, sans garde du corps
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Pour l’avoir régulièrement interviewé pendant une quinzaine d’années, on pourrait aussi témoigner, se joindre au chœur de ces trois collaborateurs pour dire, comme eux, le ­privilège d’avoir croisé un homme de cette qualité. Le plus frappant était peut-être sa manière d’être vraiment musicien sans se croire de la même espèce que ceux qu’il admirait. Par dévotion pour Alain Souchon, le ­maître, il avait offert à toute son équipe de tournée un t-shirt avec l’inscription “Chanter, c’est lancer des ­balles”, un titre tiré de C’est déjà ça qui explique ensuite “des ballons qu’on tape pour que quelqu’un les attrape… des ballons d’hélium pour faire monter les hommes”. Magnifique en effet, tout comme les voix de Maurane (qui n’en revenait pas de la modestie de son appartement à Marseille) ou de Céline Dion qui le pétrifiaient d’émotion. Elles le rendaient à sa passion pour Aretha Franklin et à sa première ambition, au fond la seule: écrire de bonnes chansons pour de grands interprètes en restant dans l’ombre.

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“Je suis heureux de sortir les poubelles”

Engagée comme attachée de presse par CBS Belgique (devenu Sony) alors que Goldman venait de chanter Il suffira d’un signe chez Michel Drucker, l’émission qui allait tout déclencher, Nicky De Neef l’a accompagné jusqu’à “Chansons pour les pieds”.

"J'ai tout de suite senti qu’il était à part. Cool, gentil, avec un côté “excusez-moi d’être là”. Et il n’a jamais changé, même s’il a appris à se protéger. Au début, on allait faire des courses ensemble sans que tout le monde ne lui saute dessus. Avec les fans, il est toujours resté disponible, mais il avait conscience des dangers de la popularité. Un soir après le tournage d’un clip avec des figurants noirs, on avait été invités dans une boîte africaine de Matonge. Je ne l’ai jamais vu aussi détendu. Il n’avait pas l’impression d’être surveillé. Je crois même qu’il a dansé, ce qui n’arrivait jamais. Après les concerts, on allait parfois marcher dans la rue. Il humait l’air de la ville.

Il m’a parlé beaucoup de sa famille, de son engagement à gauche, notamment de sa sœur, plus extrême. Son père en était une personnalité centrale. Il est mort pendant une série de concerts à Forest (le 1er décembre 88, après avoir reçu la Légion d’honneur pour son rôle dans la Résistance). Jean-Jacques a fait des allers-retours entre Paris et Bruxelles, sans rien dire, sans qu’un concert en souffre. Son frère m’a expliqué la situation… Jean-Jacques était très touché, mais jamais il n’aurait voulu attirer la compassion, susciter la tristesse autour de lui. Il s’entendait très bien avec son équipe. L’ambiance aux dîners d’après concert était excellente. Carole Fredericks pouvait se moquer de lui. Il avait de l’humour, mais ce n’était pas un déconneur. En revanche, si certains buvaient ou rentraient accompagnés, il se marrait. Il ne jugeait jamais les autres, mais il avait des principes. Il était furieux quand la crèche publique n’a pas voulu prendre une de ses filles sous prétexte que son père était Goldman. Il voulait que sa fille soit élevée comme les autres, pas dans une garderie privée. Cela ne correspondait pas à ses idées sur l’éducation et le rôle de l’État.

À la sortie du premier album de Stromae, il m’a écrit que c’était l’un des albums les plus intéressants du moment. Il restait curieux, mais il avait le sentiment de n’avoir plus rien à ajouter. Il m’a dit qu’il ne voyait pas ce que pourrait encore apporter une de ses chansons. J’ai senti qu’il ne reviendrait pas. Et c’est bien, même si je suis certaine que son retour serait un succès in­croyable. Il a beaucoup donné, il a fait ce métier de façon très intense… Après sa retraite, il m’a écrit: “Tu ne peux pas t’imaginer comme je suis heureux de sortir les poubelles”. Et bien qu’il vive tranquille. C’est un artiste extrêmement talentueux et je regrette qu’on ait mis du temps à reconnaître la profondeur de son écriture. Mais ce qui a sans doute touché le plus les gens, c’est qu’ils ont senti que c’était un mec vrai. Un jour que je lui avais écrit “tu te souviens de ton ancienne attachée de presse…”, sa réponse était si touchante. Une telle fidélité, c’est incroyable."

Goldman

À Forest National, en 2002, pour sa dernière tournée. © BelgaImage

“Il était prêt à s’arrêter”

À part pour sa première tournée, Philippe Kopp a organisé toutes les étapes belges de Jean-Jacques Goldman, dont 33 Forest National et en particulier une série record de dix Forest pour la même tournée.

Son frère, Robert Goldman, s’occupait de ses affaires, mais il n’était pas le genre de manager à faire le sale boulot pendant que l’artiste garde les mains propres. Avec ce qu’on appelait la “famille ­Goldman” qui englobait les musiciens, l’équipe tech­nique et administrative, tout était réuni pour que ça se passe bien, sans arrogance. Et quand s’annonçait une tournée, on espérait refaire partie de cette “famille” où on savait qu’on allait passer des bons moments. Jean-Jacques voulait se renouveler à chaque spectacle, ne pas juste continuer. Il avait une vision, oui, une vision, de ce qu’il voulait. Et sans que ce soit dit, on sentait qu’il était prêt à s’arrêter s’il n’avait plus rien à dire. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que l’importance de sa vie privée est intervenue dans son choix.

Goldman est quelqu’un de simple, avec qui on peut parler d’autres choses que de chiffres et de stratégies. Sa musique l’a amené tout en haut, mais il n’a jamais voulu se mettre en avant. Il venait à Bruxelles en train, sans garde du corps. Dans la rue, avec juste une casquette et des lunettes de vue, on ne le reconnaissait pas… Mais dans l’attitude, l’homme qui apparaissait dans les médias et celui dans la vie étaient exactement la même personne. Un homme de parole, un homme de principes. Et je pense qu’aujourd’hui, avec sa femme et ses enfants, il a la vie d’un homme qui se veut normal… Et c’est très étonnant quand on a été une telle star.”

Goldman

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“À dans quatre ans”

Il était directeur de production de la dernière tournée de Mylène Farmer comme il l’a été vingt ans plus tôt sur celle de Jean-Jacques Goldman. De 1991 à 2002, Didier Gaume, qui a travaillé avec beaucoup d’autres grands artistes francophones, a rendu techniquement, visuellement et musicalement possible ce que Goldman avait imaginé. Des tournées qu’il a accompagnées des premières réunions aux derniers saluts.

Dans les faits, Jean-Jacques était le producteur de ses spectacles et son frère l’accompagnait très bien là-dessus. Il voulait tout gérer, tout savoir, tout comprendre. Il est le seul artiste que j’aie vu assister à des montages et démontages. L’aspect visuel du show l’intéressait beaucoup. On enregistrait et filmait les répétitions. Puis tout le monde allait regarder ça à l’hôtel. Mais il n’y avait jamais de tension. Il avait l’intelligence de repérer sur les premières dates ce qui fonctionnait ou pas. On en discutait et le spectacle évoluait. Il se reposait sur les professionnels autour de lui et était à leur écoute. C’était quelqu’un de serein. Mais il pouvait s’énerver si, contrairement aux clauses des contrats, un promoteur local avait vendu des places où les gens ne voyaient rien ou pratiquait des prix hallucinants.

Sur la dernière tournée, j’ai senti de la lassitude. Beaucoup plus de monde, beaucoup plus de dates… À Paris, on a fait 27 Zénith, un record. Ce côté répétitif l’a harassé. Au début, il était ravi. Il aimait ces concerts qui rendaient les gens heureux, mais sur les dernières dates, je sentais bien que ça lui coûtait. Mais je ne pense pas qu’il avait déjà décidé de s’arrêter, sinon lui qui a toujours été d’une ­honnêteté absolue ne nous aurait pas dit: “À dans quatre ans”. Je l’ai retrouvé après sur les Restos du cœur. Là, le message était clair. Il voulait revenir pour montrer à ses enfants ce qu’il était. Il l’a fait, mais à travers des concerts un peu secrets comme à Ouveillan (en 2014 pour quatre chansons devant 7.000 personnes).

Un jour que je lui disais qu’il était une exception, il m’a répondu: “Les autres sont des exceptions, moi je suis normal”. “Normal”, le mot que tous ceux qui le connaissent reprennent. Il revendiquait cette ­normalité de son travail, de son personnage. Il avait même honte de gagner autant d’argent en chantant avec une guitare. Francis Cabrel, Bernard Lavilliers ou Paul Personne ont de grandes qualités humaines. Mais ils sont un peu plus dans le système. Ce sont des artistes. Ils ont besoin d’exister, de se montrer, de faire parler d’eux. À l’inverse, Jean-Jacques aurait été heureux si on avait pu l’oublier dès qu’il était ­descendu de scène. Comme une certaine rousse d’ailleurs (Mylène Farmer - NDLR). Cela ne l’a jamais empêché de donner beaucoup de son temps. À des associations notamment, mais il ne voulait pas qu’on le cite. Et avec les fans, quand il était bloqué et ça lui arrivait, il était sympathique et souriant. Il n’aurait pas pu se comporter autrement. Il a un trop grand respect pour les gens.”

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