
Pourquoi Travis Scott est un artiste qui compte

Travis Scott aura invoqué les pyramides de Gizeh pour y présenter “Utopia”, son nouvel album, avant que le projet ne soit annulé par les autorités locales: le show était jugé contraire aux “traditions du peuple égyptien”. Peu importe, le rappeur texan de 32 ans a alors délocalisé au Circus Maximus de Rome! Le live s’est tenu en août devant 60.000 personnes et a été d’une telle intensité qu’il a créé un mini-tremblement de terre dans la capitale italienne. La grandiloquence du projet de Travis Scott rappelle les excentricités du très décrié Kanye West, installé aux commandes d’“Utopia” et guest au concert romain. Une manière de confirmer sa loyauté envers l’artiste controversé, comme il l’a expliqué sans aucune ambiguïté sur scène: “Il n’y a pas d’“Utopia” sans Kanye West. Il n’y a pas de Travis Scott sans Kanye West”.
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Pour comprendre cette position, il faut remonter à 2012. Travis Scott signe un contrat de publishing avec le label GOOD Music de Kanye West. À l’époque, il entre dans l’industrie comme beatmaker et collabore à “Cruel Summer” et enfin “Yeezus”, respectivement compilation du label et album de Kanye West. Le lien avec l’ex-mari de Kim Kardashian est donc très fort, un lien auquel s’ajoute le fait que les deux hommes furent beaux-frères, Scott étant l'ex-compagnon de Kylie Jenner, la sœur de Kim.
Le drame d’Astroworld
“Utopia” n’a pas que l’ambition d’être un disque-clé dans la discographie du natif de Houston. C’est aussi et surtout l’album de la rédemption et de la renaissance après une tragédie: le 21 novembre 2021, un mouvement de foule incontrôlé a tué dix personnes lors de son concert au festival Astroworld (qu’il organisait avec Live Nation), du nom de son précédent projet sorti en 2018. On le croyait terrassé après cet épisode macabre. Après une période de silence et maintenant que l’arrêt des poursuites pénales à son encontre vient d’être annoncé, on l’a retrouvé galvanisé. Prêt à prouver au monde que ses fondations sont solides et que sa carrière est loin, loin d’être terminée.
C’est que, comme ses pairs rappeurs Kendrick Lamar ou Drake, Travis Scott s’est hissé au rang de superstar. Contrairement à eux, par contre, il ne semble pas motivé par l’ambition de raconter les problèmes de classes sociales ou de profondément marquer l’histoire de la musique. Non, la plupart de ses morceaux sont des bangers, soit des titres conçus pour faire hurler la foule. Alors comment expliquer son succès? La Flame, comme on le surnomme, a une qualité immense: tout faire pour comprendre son époque. C’est sans doute le plus grand influenceur de la décennie. Musique, fringues, marque, films, couple… Tout ce que crée Travis Scott devient instantanément objet de désir et donc “viral”. Et ça, c’est une denrée qui se monnaie très cher.
Pour s’en convaincre, il suffit de regarder ses collaborations avec Nike. L’artiste règne en maître dans le royaume des sneakers: chaque paire sortie est instantanément sold-out pour ensuite se revendre à prix d’or (parfois jusqu’à 12.000 euros) sur le marché du resell. Pour labelliser ses créations, il a créé une marque: Cactus Jack en 2017. Inspirée du vrai prénom du rappeur, Jacques, et de ses origines texanes, elle combine le Cactus Jack Records, studio d’enregistrement de musique, et le Cactus Jack Publishing, société d’édition. Et il n’y a pas qu’au royaume des baskets qu’il est roi: le rappeur a collaboré tant avec le monde du luxe comme Dior, qu’avec celui de la junk food, tel McDonald’s. Dans ce dernier cas, il a créé un menu à son nom et a sorti une collection capsule complètement farfelue composée par exemple d’un coussin en forme de nuggets. Et le pire, c’est qu’encore une fois, ça a été un carton.
La collaboration entre McDo et Travis Scott ne s’arrête pas a un menu !
Voici, la publicité qui est désormais diffusée uniquement aux US.🌵pic.twitter.com/fN7rF4sl2n
— SHIMMYA (@shimmya_) September 8, 2020
En 2020, l’artiste avait même été nommé “rappeur le plus important de la planète” par le magazine Forbes, qui l’avait alors installé dans sa liste des 30 personnes de moins de 30 ans les plus influentes du monde. Véritable génie du marketing, il collabore avec les marques et renverse la vapeur: au lieu d’accepter un format imposé et de remplir son contrat, il crée des concepts jamais vus alors, comme avec Epic Games, où il a proposé pour la toute première fois un concert virtuel sur Fortnite en 2020 qui a rassemblé plus de 12 millions d’internautes.
Une des autres qualités de l’interprète de Sicko Mode, c’est de savoir s’entourer. C’est exactement ce qu’il a fait pour sa “rédemption” sur son quatrième projet, “Utopia”. Il a convoqué une armée. Au sein des 19 titres, on retrouve les noms des incontournables The Weeknd, Beyoncé, Drake, Pharrell Williams, mais aussi du Britannique James Blake, de l’incroyable SZA, des rappeurs 21 Savage ou encore Future et Playboi Carti, du touchant Sampha et même… de l’iconique Guy-Manuel de Homem-Christo, moitié des Daft Punk, à la production du morceau Modern Jam. Un album soutenu par un parterre de pontes, une structure en acier chromé, difficile de faire plus grandiose. D’autant que ce projet est fantastiquement produit. Il est même brillamment réalisé, comme un concentré de ce qui se fait de mieux aujourd’hui. Une formule qui lui a permis, à nouveau, de devenir viral: il cumule déjà plus d’un milliard d’écoutes sur les plateformes de streaming. Et ce, malgré les critiques, qui le disaient foutu, et les autres, qui parlaient d’un album bancal. Dans le monde de Travis Scott, il n’y a qu’une valeur qui compte, celle des chiffres. Et encore une fois, ils le donnent vainqueur.