
«Il faut vraiment arrêter d’intellectualiser le théâtre»

Le paysage théâtral change dans la partie francophone de notre pays. Une nouvelle génération s’apprête à répondre aux enjeux artistiques et économiques qui préoccupent le secteur. Cathy Min Jung est arrivée à la direction du Rideau de Bruxelles, Caroline Struyf à celle du Théâtre Varia, Anaëlle Kins à la Maison de la Culture de Tournai, Emmanuel Dekoninck au Vilar de Louvain-la-Neuve ou Alexandre Caputo aux Tanneurs. Virginie Demilier a pris la tête du Théâtre de Namur à la place de Patrick Colpé qui a opéré pendant 24 ans. Pierre Thys succède à Fabrice Murgia au Théâtre National après avoir travaillé au Théâtre de Liège. Les deux présentent leur première programmation, pointant d’autres manières d’envisager le théâtre. “On vient d’un théâtre de voix et de textes, constate Pierre Thys. Je veux aller plus vers un théâtre de corps. Chez les artistes émergents, ce théâtre prend une place de plus en plus importante. Moins chez nos voisins français, où le texte garde une grande importance. Chez nos amis flamands, le théâtre de corps est présent depuis longtemps. Un corps qui cisèle la lumière, qui dessine l’espace, qui révèle les récits. Le corps des acteurs, des danseurs mais aussi des spectateurs.”
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Ce théâtre, qui s’éloigne du modèle où l’acteur parle et le public écoute, s’accompagne d’une réflexion sur le rapport au public qui doit évoluer en parallèle. C’est un des axes majeurs de la programmation de Virginie Demilier à Namur. “Je travaille sur une rencontre plus appuyée avec le public, explique-t-elle. On est moins dans un rapport où on propose de “consommer” des spectacles. Je veux multiplier les propositions où le rapport à la représentation n’est pas la même. Boule à neige de Mohamed El Khatib (au Théâtre de Namur du 20 au 22/12 - NDLR) est un spectacle circulaire qui se déroule sur la scène de la grande salle. On ne reçoit pas un spectacle de la même manière quand on est avec les artistes sur scène. Les artistes ont envie de toucher le public autrement et même parfois physiquement. Il s’agit de reconstruire la relation au théâtre et de connecter avec des publics qui viennent moins facilement au théâtre parce qu’ils se disent que ce n’est pas pour eux.”
D’autres modèles
Qui dit évolution des formes dit évolution des publics. C’est l’une des préoccupations du secteur, accablé par la crise sanitaire qui a changé les habitudes des spectateurs qui réservent souvent en dernière minute et pour qui l’abonnement n’est plus le graal. ”C’est en fonction de nouvelles propositions que des intérêts vont naître, poursuit Virginie Demilier. Il faut aussi convaincre les plus anciens de rester curieux. C’est un dosage. Mon envie est d’associer le Théâtre et le Centre culturel de Namur car, en Belgique francophone, on a beaucoup dissocié théâtre et centre culturel. En Suisse, en France ou en Flandre, le travail sur l’expression des citoyens est beaucoup plus présent. C’est une manière de mettre le citoyen au même endroit que le théâtre. Il faut vraiment arrêter d’intellectualiser le théâtre. Il faut que les gens arrêtent de se dire qu’il leur faut des prérequis pour y aller. Alors oui, certaines formes sont plus accessibles que d’autres, mais il faut commencer quelque part.”
D’autres publics
Même son de cloche du côté du Théâtre National, avec quelques variantes. “Il faut sortir de nos zones de confort, explique Pierre Thys. On doit confronter sur une même saison un temps fort dédié à la création multidisciplinaire, émergente et professionnelle, et un festival qui est le rendu d’ateliers avec des non-professionnels. En avril 2023, il y aura le festival À la scène comme à la ville qui présentera les résultats d’ateliers en milieux associatif et scolaire. On parle toujours d’inclusion, mais je préfère parler d’exclusion de soi pour aller vers les autres. J’ai envie de me frotter à l’espace public, par exemple. Si on veut d’autres spectateurs, il faut créer d’autres lieux de représentation.”
Parmi les nouveaux visages à la tête d’institutions, il y a beaucoup de femmes et on ne peut que s’en féliciter. La question de la parité reste au cœur de la réflexion de cette nouvelle génération. “J’y ai été très attentif dans la construction de ma programmation, précise Pierre Thys. Je suis un homme blanc de 50 ans, je l’ai assez entendu lors de ma nomination et ça m’a mis la pression… Avec ma conseillère en programmation, on était attentifs à une espèce de parité, sans pour autant travailler sur un quota. Dans l’urgence, on a zappé cette question. Et, en fait, 61 % des projets de cette saison 22-23 sont portés par des femmes, belges et internationales. Ça s’est fait naturellement.”
Une tentative presque comme une autre.
Du 21 au 29/9. Théâtre National, Bruxelles.
Du 5 au 7/10. Théâtre de Namur.
Hedda.
Du 5 au 8/10. Théâtre National, Bruxelles.
Du 12 au 14/10. Théâtre de Namur.