
Gaume Jazz Festival: une édition 2023 qui a émerveillé le public

Les organisateurs ont beau dire, la réussite d’un festival se mesure moins au nombre de festivaliers qu’à leur satisfaction et à la qualité globale d’une programmation répondant aux attentes du public. Alors oui, cette trente-neuvième édition du Gaume Jazz est un succès, car la plupart des concerts donnés dans le parc du château de Rossignol ce week-end ont été largement plébiscités, applaudis avec enthousiasme.
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De par sa programmation axée sur l’ouverture – d’esprit comme des oreilles -, le Gaume attire toujours une foule bien sympathique. À l’instar du contrebassiste Jean-Louis Rassinfosse, ici, on parle des “amoureux des bons publics”. Il y eut beaucoup de beau monde à Rossignol ce week-end, mais, semble-t-il, moins de familles avec des enfants qui piaillent et galopent en tous sens sur le site bucolique.
Gaingain forever
La chanteuse Camille Bertault et le Brussels Jazz Orchestra étaient très attendus dans le répertoire de Serge Gainsbourg, et l’on n’a pas été déçu. D’autant que la jeune Parisienne a choisi les débuts du grand Serge, avant l’entrée en lice de Gainsbarre : “Couleur Café”, “La Javanaise”, etc. En bras de chemise, les musiciens du BJO sont en mode estival, ce qui n’entame en rien la rigueur de leur interprétation.
À l’origine, ces chansons font deux minutes et demie, trois minutes maximum, 45 petits tours et puis s’en vont. Ces réinterprétations à la jazz peuvent durer jusqu’à une dizaine de minutes, avec tous les développements de la chanteuse ou des solistes, parfois à l’unisson. Camille Bertault et le Brussels Jazz Orchestra emmènent donc Gainsbourg sur d’autres rives.
Certes, “Je suis venu te dire que je m’en vais” est chanté sans émotion, mais, pour “L’eau à la bouche”, Camille Bertault enclenche le mode sensuel. Une chanteuse et un grand orchestre, c’est un jeu d’équilibristes et, parfois, les arrangements trop clinquants éclipsent la voix pourtant bien présente. Mais le répertoire fait aussi apparaître des titres moins connus comme “Les Cigarillos” – précédant l’époque havane et Gitane – ou “Les Goémons”. Camille Bertault fait vraiment vivre le texte d’“En relisant ta lettre” et retrouve l’esprit de Michel Legrand dans son scat autour du “Poinçonneur des Lilas”.
Liberté toujours !
Finalement, tout le monde est ravi, ce même public qui, un peu plus tard, fera un triomphe au Freetet, quintette mené par le saxophoniste Manuel Hermia. La disposition des musiciens sur la scène est signifiante : pas trois solistes devant et la rythmique derrière, mais les cinq musiciens l’un à côté de l’autre, en léger arc de cercle, sur pied d’égalité. Le Freetet représente le bonheur, la jubilation de la liberté. Pas une liberté sans fondement, sans assise, non, car tous, autant qu’ils sont, viennent avec un formidable bagage qu’ils déposent là.
Manu Hermia est encore plus fort à l’alto qu’au ténor, Jean-Paul Estiévenart se montre formidablement polyvalent, à l’aise dans tous les contextes, y compris libertaires comme celui-ci, Manolo Cabras fait de sa contrebasse des percussions : enfin, ils sont tous formidables et font une musique salvatrice aux vertus curatives.
Fanfare à quatre voix
Dans leur genre, Michel Debrulle, Michel Massot, Laurent Dehors et Christian Altehülshorstes les trois du Trio Grande qui étaient quatre, font un peu le même effet. Avec un esprit fanfare et fanfaron bien établi, ils tirent de leurs instruments les sons les plus extravagants, toujours sur fond d’espièglerie. Très en verve, Laurent Dehors présente un magasin d’instruments, saxophones, clarinette, clarinette basse et contrebasse “pour prendre le rôle de basse et laisser de la place à Michel Massot qui joue toujours ce rôle” avec son tuba basse. Que dire alors de sa musette, sorte de cornemuse du Berry ? Que l’on s’amuse et que c’est très bien ainsi.
Comme, un peu plus tard, l’on put être émerveillé, impressionné, ému par la voix et le chant de la Suédoise Lena Willemark, au sein de l’Ensemble retrouvé de la pianiste Elise Einarsdotter – comme ça se prononce -, et sa sensibilité à fleur de peau. Samedi soir, un ange repasse en l’église du village, lorsque Renaud Garcia-Fons, contrebasse, et Claire Antonini, théorbe, subliment les rapports entre musiques baroque et orientale, tonale et atonale, d’inspiration persane. Le Gaume Jazz Festival, ce sont aussi ces moments d’exception, où le temps suspend son cours.