

Sa première enquête pour RTL-TVI, Jean-Claude Defossé l'a consacrée à l'intégration des immigrés d'origine turque et marocaine en Belgique. Et à une question: réussite ou échec? Sa réponse est un document de 55 minutes titré...L'intégration est un échec. Diffusé ce mardi à 19h45, ce pavé tombe à point nommé, ou pas...
Lors des attentats, vous mettiez la dernière main à votre enquête après trois mois passés dans les communautés belges musulmanes.
Jean-Claude Defossé - Je ne fais aucun lien entre cet événement et mon travail. Ce serait tomber dans le piège béant tendu par les terroristes qui cherchent à nous influencer, à nous diviser et à provoquer la stigmatisation des musulmans. Moi, je me suis concentré sur les 95 % de Belges marocains et turcs "normaux" concernés par une intégration plus ou moins bien réussie. Pas sur les 5 % d'extrémistes qui alimentent l'actu la plus funeste.
Quel a été votre point de départ?
J.-C. D. - La commémoration en 2014 des 50 ans de l'immigration turque et marocaine symbolisée par un tapis de fleurs sur la Grand-Place. Parmi celles-ci, j'étais sûr de dénicher des cactus coriaces. En effet, les politiques nous présentent ce demi-siècle d'immigration musulmane comme une intégration réussie. Mais quand tu grattes, c'est bidon. Souvent on n'ose pas nommer les choses. Le chômage, l'échec scolaire et la délinquance sont trois réalités où les immigrés sont plus dans le rouge que la moyenne nationale. Cela ne signifie pas qu'ils sont nécessairement responsables. Cela veut surtout dire que la Belgique n'a pas fait ce qu'il fallait pour les intégrer.
Vous dressez donc un tableau sombre?
J.-C. D. - Pas seulement. Je montre aussi des réussites extraordinaires comme celle de Hafida, une femme médecin, issue d'une famille de treize enfants dont le père était manœuvre. Les sept filles de la famille ont réussi. Il y a aussi l'exemple maison de Hakima Darhmouch...
D'accord, mais ce n'est pas une majorité?
J.-C. D. - En effet. J'épingle de nombreuses réalités marquées par le racisme à l'emploi, la discrimination scolaire mais aussi les problèmes vécus par les femmes dans des familles musulmanes. Certaines femmes intégrées doivent en famille faire semblant, de peur de se faire lyncher. J'évoque le non-respect du ramadan violemment stigmatisé. J'aborde les problèmes de cours de bio, de gym, de natation...
La majorité des témoins ne parlent pas à visage découvert...
J.-C. D. - C'est vrai, la plupart des intervenants sont masqués. Beaucoup parlent mais peu veulent se montrer, surtout dans le milieu de l'enseignement. Il y a une vraie chape de plomb et un problème croissant de cohabitation entre musulmans et non-musulmans.
C'est votre impression ou un fait établi?
J.-C. D. - Une étude de l'UCL démontre qu'en dix ans, les crispations en Belgique entre musulmans et non-musulmans ont pris une vraie ampleur. Et ce n'est pas en se réfugiant derrière un discours rassurant ou politiquement correct que cela va se régler. Il n'est pas question de demander aux Belges musulmans de renier leurs racines. Mais ils ne peuvent pas ne rien changer à leurs habitudes ou leurs mentalités. Notamment sur le statut de la femme ou l'enseignement. Aux politiques à enfin trouver des solutions pour éviter que la marmite explose.
Les problèmes se posent de manière plus aiguë pour les dernières générations nées ici. Normalement, cela aurait dû s'améliorer avec le temps?
J.-C. D. - La cause est un réel repli communautaire doublé d'un contrôle social exercé par leur communauté. Vivre dans certains quartiers-ghettos les oblige à se plier à des obligations liées à la religion et à la culture d'origine. Mon document ne fait pas le lien avec les jeunes qui partent faire le djihad, mais il est implicite. Ces jeunes sont largués, à la dérive entre une Belgique qui n'a pas su les recevoir et une communauté qui n'a pas su les retenir.
Pourquoi ce repli communautaire est-il aussi fort?
J.-C. - C'est LA révélation de mon enquête. Le repli communautaire est largement favorisé, encouragé, par les pays d'origine, la Turquie et le Maroc. Même nés Belges, tous restent Turcs ou Marocains, avec la double nationalité. Les Turcs doivent faire leur service militaire en Turquie. Ils votent aussi des deux côtés. Chez les Marocains, existe le makhzen, sorte d'allégeance implicite de chacun envers la structure étatique traditionnelle de son pays avec à son sommet le roi du Maroc, le "Commandeur des croyants". A travers leurs mosquées, tant les Turcs que les Marocains gardent la patte sur leurs communautés immigrées. Et sur les milliards qu'elles renvoient chaque année "au pays". Du côté turc, il y a aussi la Diyanet, ministère des cultes fort de milliers de fonctionnaires pour contrôler les mosquées. Depuis son arrivée au pouvoir, le président Recep Erdogan en a fait l'outil d'une islamisation, profondément rétrograde pour les femmes, de la société turque. Il garde la haute main sur les mosquées et leur ligne idéologique. Y compris en Belgique.
Les communautés font aussi coup double côté électoral...
J.-C. D. - Oui. Et c'est anormal. En Belgique, les Belges "turcs" votent pour des politiques d'origine turque, les Marocains pour des Marocains. En retour, on ne dérange pas la communauté dans ses habitudes. Là aussi se niche le repli communautaire.
Comment pensez-vous que votre enquête sera reçue par le public?
J.-C. D. - Elle fera gueuler en tous sens. Ce qui est en général bon signe (rire). Certains la jugeront islamophobe, raciste. D'autres la trouveront pédagogique et en empathie avec la communauté musulmane. Mais son message est clair: arrêtons de nous voiler la face, les problèmes sont là. Prenons-les vraiment à bras-le-corps, ce que le politique n'a jamais fait, sinon un jour cela va vraiment péter.