
Renaud, les raisons de la colère

Le paradoxe est énervant: Renaud n'a plus vraiment envie de chanter, alors que la chanson française n'a probablement jamais eu autant besoin de lui. Une plume qui sait planter un décor, évoquer le Paris du bitume, les ouvriers qui triment, une jeunesse qui se cherche ou des colères qui s'égarent dans les rues comme des cris sourds. Les charognards sont là, mais le chanteur se tait, préférant laisser La bande à Renaud rappeler au monde qu'il existe encore un peu. Rongé par la nostalgie de sa jeunesse qui a définitivement foutu le camp, des échecs amoureux et des critiques virulentes sur ses derniers albums, mister Renaud a choisi de vivre son mal-être loin des lumières, auscultant les habitués du café de la Closerie des Lilas, plutôt que les assoiffés de pouvoir qui sont en train d'assombrir ce qui gravite tout autour.
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En attendant - qui sait? - des jours meilleurs, Laurent Delahousse a décidé de rendre à Renaud ce qui lui appartient: une carrière follement passionnante et profondément sincère, qui a démarré en 1975 avec Amoureux de Paname. Nourri dès l'enfance au biberon amer de Mai 68, épris des mots de Zola, de Prévert et de Dylan, l'homme a passé plusieurs décennies à tenter de dialoguer avec une société qui se déshumanise, à réveiller quelques consciences ou à dénoncer les travers de droite comme de gauche. Avec tendresse et humour, souvent. Avec une encre beaucoup plus rouge quand il le jugeait nécessaire. Toujours en y mettant un peu de lui et beaucoup des autres. En n'oubliant jamais que son statut de "chanteur énervé" avait ses limites et qu'il ne pouvait pas tout soigner. Une longue vie de bonnes et de mauvaises humeurs, dessinées dans un portrait qui servira un plateau de nuances et de réflexion à ceux qui ont pris la fâcheuse habitude de réduire Renaud à une simple bouteille au bout du goulot...