
Serge Reggiani, ma liberté

C’est un visage chiffonné, percé de deux yeux un peu tristes, des yeux de chien battu diront certains. Un regard tour à tour sombre et tendre, selon qu’un sourire naissait ou disparaissait. La mélancolie de Serge Reggiani se lit ici, dans le pli de ses rides, avant même de se révéler dans les mots qu’il chanta, tardivement. Un beau sujet pour un portrait, dont Pascal Forneri et Boris Donné dessinent ici les touchants contours. Ceux de l’enfance d’abord, débutée dans l’Italie mussolinienne et marquée par la rupture, lorsque la famille fuit le Duce pour s’installer en France. Ceux d’une carrière qui doit beaucoup au hasard et aux rencontres, ensuite: apprenti coiffeur, Serge Reggiani joue parfois les figurants. La comédie n’est pas sa vocation, mais il entre malgré tout au Conservatoire. Les débuts sont flamboyants, mais la déception guette. Trop de rôles similaires (il joue si bien les mauvais garçons) et une satanée réputation – on dit qu’il porte la poisse. Jamais sûr de bien faire, il trouve une échappée dans la chanson, cornaqué par le découvreur de talents Jacques Canetti et la grande Barbara. Et se révèle enfin, exigeant et inspiré, grâce aux plumes de Jean-Loup Dabadie ou Georges Moustaki. Remontant le fil de cet étrange parcours, les auteurs convoquent les proches de l’artiste, dont les témoignages en voix off accompagnent avec une belle affection le flux ininterrompu des images d’archives. Anouk Aimée évoque un homme "toujours un peu lointain", Michel Bouquet un "morfondu" rongé par une "intériorité qui confinait à une sorte de maladie, qu’il entretenait". Et que la vie nourrit, également, de la mort du petit frère dont il se sentit responsable au suicide de son fils qui l’accabla un peu plus. Des brisures dans lesquelles le public, fidèle, venait se lover à chaque concert, touché au cœur par la sensibilité tourmentée du beau Serge.
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