
Le diseur d'aventures

On pourrait croire que Corto Maltese a toujours fait partie de lui. Pourtant, Hugo Pratt a déjà 40 ans lorsqu’il donne naissance à ce sombre héros de la mer qui, dans La Ballade de la mer salée, n’est encore qu’un personnage secondaire. On est en 1967, et le mythe n’est pas encore né. Même si le rédacteur en chef de Pif Gadget demande à Pratt de faire voyager l’ami Corto, le succès peine à décoller. Un peu trop “adulte”. Un brin trop mélancolique, ironique et exotique, pour un public qui ne voit guère en Corto qu’un passager insaisissable du neuvième art. Mais la patience, Hugo Pratt connaît. S’il a commencé à dessiner très jeune en s’inspirant des récits de Robert Louis Stevenson ou des traits de son idole Milton Caniff, il a pris le temps de peaufiner son art. D’abord en laissant parler son imaginaire, où il est allé chercher ses héros torturés sans cesse exilés. Ensuite en se remémorant son enfance en Italie, puis son départ vers l’Éthiopie en compagnie d’un père militaire qui, à la botte de Mussolini, mourra après avoir été capturé par les Britanniques.
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La suite n’est pas aussi connue qu’on le croit. Bien sûr, son héros nommé Maltese deviendra un personnage emblématique, qui, comme Blueberry ou Thorgal, dégage cette virile sérénité faisant de lui un aventurier à qui rien ne peut arriver. Mais si Hugo Pratt est devenu un mythe, c’est aussi parce que son œuvre costaude a été façonnée par une manière de dessiner, de décrire et de penser qui ne ressemble à aucune autre. Raconté par Lambert Wilson, le documentaire Hugo Pratt, trait pour trait est à la fois inédit et rempli d’histoires qui évitent soigneusement d’enfermer l’auteur dans une case. Des histoires qui évoquent l’Afrique, l’Amazonie, Paris, Londres, la Suisse ou l’Argentine, étapes inévitables pour cerner l’immense univers dans lequel Hugo Pratt allait puiser ses écrits comme ses rêveries…