
Le dernier des géants

Septembre 2016. Un homme de 99 ans (il en a eu 100 le 9 décembre) publie une tribune au vitriol dans le Huffington Post, s’inquiétant de la montée en puissance de Donald Trump pour la présidence des États-Unis et fustigeant un discours dont “les mots glaçants auraient pu être prononcés en 1933”. Cet homme qui ne mâche pas ses mots, c’est Kirk Douglas, né Issur Danielovitch, quatrième enfant (il a six sœurs) d’une famille juive russe qui a fui les pogroms en 1908 vers le Nouveau Monde. Mais le rêve américain a d’abord des allures à la Dickens. À Eagle Street, quartier déshérité de la ville industrielle d’Amsterdam, dans l’État de New York, il voit son père illettré partir tôt le matin de la minuscule maison familiale “pour ramasser ce dont les autres ne veulent plus”, comme il le raconte dans sa passionnante autobiographie, Le fls du chiffonnier. Une enfance pauvre qui allait forger le caractère tempétueux et indépendant de la future star.
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C’est Lauren Bacall qui lui obtient son premier rôle important dans L’emprise du crime aux côtés de la fascinante Barbara Stanwyck. À partir de là, tout s’enchaîne. L’acteur tourne dans La griffe du passé de Tourneur, et se lie d’une indéfectible amitié avec Burt Lancaster dans La bête aux abois. Une amitié qui les enverra régler quelques “comptes à O.K. Corral” en 1957 dans un fameux western de l’époque. Il tourne avec les plus grands: Mankiewicz, Wilder, Minnelli, Vidor. Il aime les plus belles: Pier Angeli, Rita Hayworth, Marlene Dietrich.
Mégalo et farouchement épris de liberté, il devient producteur, met dans la lumière un certain Stanley Kubrick, avec le film antimilitariste Les sentiers de la gloire. Échaudé de s’être fait souffler le rôle de Ben-Hur par Heston, il monte son grand péplum Spartacus, mais connaîtra de profonds désaccords avec Kubrick. Caractériel, il est cependant aussi un démocrate engagé et courageux: il permet à Trumbo, l’un des “Dix de Hollywood”, de signer de son nom le scénario de Spartacus.
Arte rend hommage cette semaine au mythe. Avec Seuls sont les indomptés (son film préféré), L’homme qui n’a pas d’étoile et Les Vikings. Tout géant qu’il soit, le papa de Michael n’a jamais remporté l’oscar du meilleur acteur. Mais il y survivra. Comme il a survécu à une enfance difficile, à un crash d’hélicoptère et à une crise cardiaque. Il survivra sans doute aussi à Donald Trump.