
Le monde parfait des réseaux sociaux est épuisant

Vous avez vu passer des dizaines de story pendant les fêtes, du déballage de cadeaux en passant par la dinde rôtie, et la déco de la table sur laquelle elle était posée et du sapin, pour finir par l'utilisation des présents dans la vie quotidienne, etc. A chaque Noël, ça ne rate pas : les photos et les témoignages hyper-positifs dudit Noel se multiplient sur les réseaux sociaux. Difficile de passer à côté, trois Belges sur quatre possèdent désormais un smartphone.. Certains ne se privent pas pour balancer chaque détail sur le web, quitte à se montrer très inventifs pour mettre le tout en scène. Et il y a du choix. Entre Instagram, Facebook, Snapchat ou Twitter pour les plus connus, les possibilités de partager sa vie se sont démultipliées.
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Au fond, la personne cherche à augmenter la jauge de l'estime de soi par le nombre de likes dans une sorte d'audimat intime.
Seulement, à force de vouloir « vendre du rêve » on peut oublier de vivre sa vie. En effet, ce grand déballage, cette hyperconnexion et ce besoin constant d'être « liké » peuvent être symptomatique d'un grand manque de confiance en soi et révéler une addiction. C'est ce qu'explique le psychologue et psychanalyste français Michaël Stora, qui a vu passer de nombreux « cas » dans son cabinet parisien. Il a d'ailleurs publié le livre « Hyperconnexion » avec Anne Ulpat à ce sujet. « On peut retrouver différentes sortes d'utilisateurs. Au sein de ceux-ci, il y a les compétiteurs du post sur les réseaux sociaux. Cela peut révéler une fragilité narcissique, quand c'est excessif. Au fond, la personne cherche à augmenter la jauge de l'estime de soi par le nombre de likes dans une sorte d'audimat intime. Cela va le rassurer, ou au contraire, le stresser si un post ne prends pas. »
Facebook, Instagram, Snapchat, Twitter,...
A chaque réseau social, ses codes
On n'utilise pas Facebook comme on publierait sur Twitter. Pour amasser un maximum de « j'aime », il faut suivre des codes bien précis. « Sur Facebook, en général on fait des relais d'autres médias ou alors on poste des contenus un peu banals mais toujours positifs. Avec Twitter on est dans un désir de créer du buzz autour de l'info et puis avec Instagram, qui est avant tout un média d'image, on va être dans la recherche de l'approbation, en essayant de se créer une grosse communauté. Sur Instagram, ou on est hyper-créatif ou on est plutôt bien gaulé. Sinon, cela risque de faire un flop. » Et c'est vrai qu'à voir défiler les clichés sur ce réseau social, on reconnaît certaines poses obligatoires, sans parler des hashtags qui vont faire en sorte que votre image soit relayée un maximum. #ootd #Influencer #vsco #picoftheday se retrouvent ainsi quasi systématiquement en dessous des posts des Instagrameuses en devenir.
« Les réseaux sociaux ont amplifié notre rapport à l'image, et dans ce cas à l'image de soi. Chacun tente de faire du « self-branding » Un peu comme si nous étions tous devenus des produits à vendre, à faire aimer et enfin, à liker. Avec ce genre de réflexe de promotion, il est quasiment impossible de ne pas tomber dans la caricature. « L'image de soi est un travail qui se fait à l'adolescence. Le jeune se construit dans le regard des autres, il cherche évidemment la valorisation. Mais c'est banal à cet âge-là, ça s'est toujours fait, que ce soit dans la classe ou ailleurs. Ce qui a changé, c'est qu'aujourd'hui même les adultes le font. Est-ce que cela veut dire que notre société est devenue très adolescente ? Sans doute. » Cette quête d'une image de soi qui viendrait finalement rappeler qu'on est toujours séduisant, qu'on est toujours drôle et ce malgré l'âge qui avance.
Addiction au like
Quand on observe bien le mécanisme de ces réseaux sociaux, on comprend que ce besoin d'être « liké » est tout récent. Il a été créé pour que Facebook, Instagram ou Twitter soient addictifs, que l'on ne puisse plus s'en passer. « Il y a ce désir de transparence de ce que l'on vit, de ce que l'on est. La preuve avec Facebook, qui nous demande « What's on your mind » dès que l'on veut poster quelque chose. Sauf qu'on risque l'épuisement lié à la banalité. » La terminologie choisie, le « like », est également intéressante comme le souligne Michaël Stora « En anglais, cela veut dire « J'aime » mais aussi « Comme ». Il y a énormément de photocopies sur les réseaux sociaux. On retrouve des choses très communes, des sortes de tendances qu'il faut suivre et particulièrement sur Instagram. On y verra systématiquement certains types de filtres, certains corps et des objets que l'on se devra d'aimer, parce que c'est ce qui se fait pour le moment. Tout se ressemble, il n'y a pas vraiment d'aspérités. »
Heureusement, il existe également des gens très doués qui sortent du cadre pour inventer de nouveaux codes. Ceux-là sortiront du lot grâce à leur créativité. « Instagram a permis à certains jeunes photographes de sortir de l'anonymat. Parce qu'ils étaient vraiment très doués. Dans la très grande majorité, on est dans un univers où l'image est presque devenue l'unique moyen d'exister. »
Une hyperconnexion qui a tendance à appauvrir nos relations, notre vie en général. « Aujourd'hui, on sur-photographie tout ce qui nous entoure. C'est devenu un besoin quasi-existentiel. Comme si la chose n'existait pas vraiment si on n'avait pas pris la peine de la prendre en photo. Là, c'est un peu dangereux. L'image et l'imaginaire sont deux choses différentes. Ce qui nous permet de nous sentir exister, ce n'est pas que cette sensorialité là, ce côté trop lisse et trop parfait de la réalité par l'image. »
La fin de l'imaginaire
L'exemple est particulièrement frappant dans le cadre des vacances. On se coupe de notre mémoire sensorielle à trop vouloir capturer un moment par le biais d'un écran. « Avant, on mémorisait les odeurs, le dénivelé d'un sol, la chaleur ambiante, etc. Aujourd'hui, on essaye juste de cadrer un paysage. Le pur visuel n'est pas suffisant pour se faire de vrais souvenirs. On assiste donc à un appauvrissement de l'imaginaire. » Il y a peu de hors-champs, sauf si l'on observe un cliché d'un grand photographe. Sur Instagram, on est dans le sur-champs, dans le premier degré.
Même réflexe avec le smartphone, qu'on va prendre en main des dizaines de fois par jour, parfois sans trop savoir pourquoi. « La question du toucher avec le portable est essentielle. Le fait de vouloir le prendre en main toutes les 5 minutes, est-ce que cela ne viendrait pas révéler une profonde incapacité à être seul ? A réduire la distance avec ce que l'on voit, avec ceux à qui l'on parle? Ce qui mettrait en exergue un problème plus profond, un sentiment de solitude. » Le smartphone pourrait ainsi être comparé à un doudou sans fil, comme l'explique Michaël Stora, un doudou qui permettrait à certains d'éviter de penser aux choses difficiles qu'ils pourraient vivre. Cela peut donc avoir un effet anxiolytique, mais aussi un côté anti-dépresseur pour d'autres.