
Pourquoi Top chef est une émission presque parfaite

La télé change de ton. Il y a dix ans, quand Un dîner presque parfait lançait la vague des émissions de cuisine, le plaisir était dans le persiflage, le voyeurisme de la lose et les quolibets sur Twitter. Aujourd’hui, si près de 500.000 Belges francophones et 2,5 millions de Français regardent Top chef, ce n’est plus pour affûter leur instinct de sniper mais parce que les valeurs de l’émission sont positives, les candidats (et leurs chefs) attachants et qu’il n’y a pas plus fédérateur que la bonne bouffe.
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Quand en février 2010 M6 lance la compétition, elle prend la vague culinaire de biais. Ici les candidats sont des professionnels. Avec eux, pas besoin de gants. Les apprentis étoilés sont des souffre-douleur par vocation. Leur formation suit une voie quasi militaire et les chefs ont volontiers la rigueur patibulaire et les vociférations d’un sergent-chef. Le jury original comprend la rigide Ghislaine Arabian, l’ancien casque bleu Thierry Marx, le pointilleux Jean-François Piège et Christian Constant, assez old school. Et quand les concurrents commencent à se sentir à l’aise, on leur envoie Philippe Etchebest, naseaux fumants et regard de taureau furieux, pour les remettre à leur place. Top chef se place d’emblée sur le terrain de l’exigence, face au MasterChef de TF1 qui arrondit les angles avec les amateurs. Dans la foulée, Etchebest, dont la personnalité sanguine et le physique de rugbyman font sensation, s’en va effrayer les restaurateurs paumés dans Cauchemar en cuisine à grands coups de gueulantes salvatrices.
Comme toujours quand elle a trouvé un filon porteur, la télé use et abuse de tout ce qui manie couteaux et fouet. Jusqu’à ce qu’un tri s’opère. Top chef perd trois jurés et en profite pour intégrer la terreur Etchebest, qui montre enfin son côté troisième mi-temps et son humanité. Il est flanqué d’Hélène Darroze, presque girly, et de Michel Sarran, un poil branché avec les lunettes de Jamy et un regard malicieux qui lui donne beaucoup de charme. Si Piège reste l’incarnation de la rigueur, il prend de la distance. On sent le glissement de terrain… Les attentats, à Paris, à Bruxelles et ailleurs renforcent ce besoin viscéral de réunir ses proches et de se rassurer avec des plaisirs de base. Comme Top chef.
Le maître mot: la transmission
Le succès du Meilleur pâtissier est passé par là. Une émission en forme de Petite maison dans la prairie, avec un décor pastel, des lapins, des agneaux, des montagnes de sucre, de fraises, de chocolat, de sourires et de crème chantilly. Un souvenir d’enfance grandeur nature. Et la tendance “émotion” se répand. Dans Top chef, les nouveaux jurés, qui s’entendent comme larrons en foire, participent au réchauffement climatique de l’émission. Les mots-clés désormais sont partage, sourire, terroir et transmission. D’ailleurs Philippe Etchebest entame un tour de France à la rencontre d’apprentis surdoués qui pourront s’intégrer au concours. Et fédère du même coup les régions, les parents, les ados avec Objectif top chef.
L’émission y gagne encore quand les producteurs profitent de la complicité entre les chefs pour les mettre en compétition. De jurés ils deviennent mentors, s’attachent d’autant plus à leurs poulains. Ils reproduisent une cellule familiale classique, avec le père autoritaire et fier comme un paon, la mère tendre et solide, le tonton rigolo, et les enfants qui courent partout en quête d’approbation. Les parents, cool (il est loin le temps où Jean-François Piège faisait une scène à un candidat qui osait le sacrilège de porter des baskets), mettent en avant des valeurs vintage de respect, rigueur et solidarité. Et poursuivent la transmission avec les télé-spectateurs. Désormais le volet téléréalité qui suivait le quotidien des candidats juste après Top chef est remplacé par les conseils et recettes des chefs invités.
Quelques grammes de douceur…
Alors que la violence a envahi la télé, des infos aux fictions de plus en plus sombres, le virage de Top chef vers la bienveillance lui a vraiment réussi. Le rapport de forces a changé. Aujourd’hui c’est pour déstabiliser les chefs que les producteurs imaginent leurs surprises diaboliques. Malin. En jouant sur les émotions des jurés, ils en font des personnages qu’on se prend à aimer. On a envie de découvrir leur cuisine, comme celle des candidats auxquels on s’attache. Car Top chef offre à ses jeunes talents une visibilité qui se prolonge bien au-delà de l’émission. On peut suivre un atelier culinaire avec Julien Lapraille (TC5), manger à Mons au Bistrot de Jean-Phi (Watteyne, TC4) ou au Bloempot à Lille, chez son pote Florent Ladeyn, se réjouir que Martin Volkaerts (TC6) reprenne un établissement à Céroux ou filer à Marne-la-Vallée goûter le menu que Jean Imbert (TC3) a imaginé autour des classiques de Disney. Que Camille ou Victor remporte la finale de cette saison 9, on a déjà gardé le nom de ceux qu’on a bien décidé de suivre. À la télé ou ailleurs.
Michel Sarran, l’incarnation d’un esprit de cœur
Plus que ses 2 étoiles, il a le sourire et la bonté imprimés sur le visage. Et dans les mots: “Top chef, ce sont des histoires de rigueur, d’investissement, de respect des candidats envers nous et entre eux. Ça guide nos rapports entre nous, membres du jury, et entre eux et nous. Je ne veux pas passer pour le vieux con, mais ce sont des valeurs essentielles. Je ne ferais pas un concours qui casse les gens. On est là pour les aider, les tirer vers le haut, partager, conseiller… On fait passer des messages essentiels auprès d’eux et par extension, du public. Top chef, ce sont sept semaines de colonie de vacances. En quatre ans, il n’y a pas eu de clash… alors que les cuisiniers ont des ego surdimensionnés !”