

Il avance d’un pas lourd dans les couloirs de la RTBF. La banane aux lèvres mais une lueur d’inquiétude plantée au fond des yeux. Et un peu d’amertume. Benjamin Maréchal prépare son retour, sans trop de pertes ni grand fracas. En septembre, il présentera On n’est pas des pigeons. Il parle de la machine qui n’a pas terminé de le broyer, de la notoriété qui ne l’a pas rendu cinglé et du travail comme une valeur sacrée. Mais le dessous des cartes de son éviction de C’est vous qui le dites, il le garde pour lui.
Benjamin MARÉCHAL - Mon seul enjeu, c’est de retrouver du plaisir à l’antenne. Mais je n’ai pas de responsabilités. On m’a demandé de présenter, je présente. Je sais que la pression sera sur moi parce que j’incarne le changement. Mais l’émission existe depuis sept ans et il y a forcément un phénomène d’usure après autant de temps. C’est à l’équipe à gagner les cinq prochaines années. La responsabilité du choix des sujets et du ton mordant n’est pas sur moi mais sur les éditeurs.
Oui, complètement. Depuis deux ans, je me demandais s’il n’était pas temps d’arrêter. Mais après tout ce qui s’est dit, ce qui s’est passé, si je me plains, j’ai l’air d’un calimero. Et j’ai quand même un certain devoir de réserve, on ne peut pas tout raconter. Ça devenait une situation qui, sur le plan personnel, n’était plus très enrichissante, en fait.
Les réseaux sociaux sont des machines à broyer.
C’est plus facile de dire stop quand on a tout eu : les meilleures audiences pendant des années, l’émission leader, numéro 1 dans la tranche la plus écoutée sur la chaîne la plus emblématique. Mais c’était bien de s’arrêter pour se reconnecter à la réalité et pour ne pas devenir ce qu’on devient vite dans ce boulot: une caricature de soi-même. Un mec qui n’est plus à l’antenne, c’est un mec qui a loupé quelque chose. Je ne voulais pas tomber dans ce système pervers. Donc j’ai très bien vécu ces six derniers mois. J’ai travaillé. Et je me suis soigné après deux années physiquement éprouvantes.
Il y a eu un effet d’opportunité. À un moment, tout le monde s’engouffre. Les collègues qui ne vous aiment pas, ceux à qui vous n’avez pas tenu la porte dans l’ascenseur et vos concurrents... Tout le monde s’engouffre, même les humoristes comme André Lamy qui m’a assimilé à Tariq Ramadan au moment où il était dans la tourmente pour des faits de viol. Au final, c’est contre tous ceux qui ont regardé et qui ont été d’une passivité totale que j’ai un peu de colère. C’est le seul élément qui me fâche. Dans une agression, il y a deux coupables, si on compte celui qui regarde et qui ne fait rien.
Ce qui m’a un peu échappé, c’est qu’on m’a souvent assimilé aux propos qui ont été tenus.
Les réseaux sociaux sont des machines à broyer. Et j’ai un peu perdu confiance dans les gens parce que ce qu’ils vous souhaitent, en fait, c’est d’être au chômage. Moi j’ai un grand respect pour la valeur travail. Mon père a travaillé jusqu’à ses 77 ans. Et des gens s’amusent très fort avec l’idée que vous soyez au chômage et sans ressources. Je trouve ça très violent.
C’était une émission de commentaires sur l’actu avec les gens. Ce qui m’a un peu échappé, c’est qu’on m’a souvent assimilé aux propos qui ont été tenus. Mais c’étaient les propos des gens et ils avaient le droit de les tenir. Est-ce qu’une forme de franchise, c’est flirter avec la limite ? Dans le climat actuel, oui. Aujourd’hui, si vous n’êtes pas feel good, vous avez peu de chance d’aller jusqu’à la pension. Mais on n’est pas tous obligés d’être un animateur obsédé par sa cote de popularité. On n’est pas tous obligés d’obéir à la pression du like sur Instagram.
Non. Je n’ai ni mission ni rôle. Dans la préparation des Pigeons, on me disait qu’il fallait créer un personnage. C’est tout l’inverse de ma conception. Il faut être ce qu’on est sinon on devient comédien.
Les gens ont bien compris l’ensemble de la séquence. Ils savent que cela se passait dans une année électorale, au moment où la RTBF négociait son contrat de gestion. Mais donc oui, les gens sont importants pour moi. Mais je serai moins en contact avec eux dans les Pigeons.
Non. Je n’ai pas cultivé de communauté de fans. Je fais mon travail qui est un travail de journaliste, de présentateur.
Deux personnes m’ont donné envie de faire de la radio. Tout d’abord, Georges Lang sur RTL. Petit, j’écoutais son émission de country. Il racontait les choses et c’était un génie. Et puis Fabrice que j’écoutais sur RTL dans Casino parade. Je trouvais qu’il était le roi de l’impro, de la rigolade et du sourire en coin, un peu british. Mais je n’ai pas de modèle.
Des vraies erreurs, je le reconnais, il y en a eu. Mais pas plus et pas moins que dans d’autres émissions.
Cette conversation me fatigue. J’ai fait des études de journalisme. Ma vie serait-elle très différente si j’avais la carte de presse et le parking gratuit à l’aéroport ? Quand je suis arrivé aux Pigeons, c’était le buzz dans les couloirs : il n’a pas sa carte de presse ! J’ai discuté avec l’équipe et les trois quarts n’en ont pas. C’est la machine à broyer. C’est la focalisation sur Maréchal.
Des questions, je m’en pose. Je sais très bien ce qu’on a fait collectivement avec la chaîne. J’ai une très grande lucidité. Des vraies erreurs, je le reconnais, il y en a eu. Mais pas plus et pas moins que dans d’autres émissions. Ici la prise de risque était évidemment grande. C’est plus facile d’enregistrer une émission où on répète cinquante fois bonjour et belle après-midi… Mais sans ce questionnement, j’y serais encore. Je pouvais faire ça jusqu’à ma pension tant que l’audience était là.
Oui. Je suis très content, très serein. Le grand enseignement, c’est que la machine à broyer se serait bien amusée à me voir revenir très dépressif et malade. Mais je suis loin de tout ce cinéma, de ces conversations de couloir. Quand on a été sali, il faut vivre avec ça. Mais un jour, la roue tourne.