
Dystopies en série: pourquoi joue-t-on à se faire peur?

L’extrême droite a gagné les élections. Des réfugiés sont enfermés dans des camps. Les banques ont fait faillite. Les bananes ne sont plus disponibles en Europe et la viande fabriquée en laboratoire est au menu de chaque foyer. Si ce scénario vous fait penser au JT d’hier soir, il s’agit pourtant de celui de Years And Years, série britannique dont le principe est d’imaginer comment le monde va évoluer, de 2019 à 2030 et au-delà, à travers les yeux d’une famille ordinaire, les Lyons. Imaginée par Russell T Davies (Queer As Folk, Doctor Who, Cucumber), elle rejoint la liste de plus en plus longue des dystopies, ces séries qui s’attellent à imaginer des futurs où le bonheur semble impossible. Black Mirror, The Handmaid’s Tale, 3 %, Altered Carbon, Westworld… Les scénaristes semblent de plus en plus inspirés par ce que nous réserve l’avenir. C’est-à-dire le pire.
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Contrairement aux autres du genre, Years And Years (portée d’abord au petit écran par BBC One, ensuite diffusée aux États-Unis sur HBO, et maintenant chez nous sur Be tv) ne propose pas de grand bond en avant. Pas de décors ultra-futuristes, de voitures volantes ou de technologies mirobolantes à la Black Mirror. Juste une sorte de Siri qui permet à la famille de réaliser des appels groupés, et une jeune adolescente en chemin vers le transhumanisme. Du reste, l’évolution du monde se lit surtout sur les écrans de télévision, notamment via l’ascension d’une femme politique populiste (brillante Emma Thompson), avant de venir bouleverser le quotidien de chaque membre de la famille. L’un tombe amoureux d’un réfugié ukrainien discriminé dans son pays pour son homosexualité. L’autre, activiste, est touchée par les radiations d’une explosion nucléaire. Petit à petit, chaque goutte de changement (politique, environnemental, économique) s’accumule et met la famille Lyons à rude épreuve.
Signant une brillante série déjà qualifiée de “meilleure de l’année”, Russell T Davies n’a finalement fait que s’inspirer de l’actualité. “Cela fait très longtemps que j’ai cette idée en tête, mais ces dernières années, le monde a perdu la tête. Je devais écrire cette série rapidement, avant que quelqu’un d’autre ne le fasse! Et la diffuser aussi vite que possible, avant que ce que l’on y raconte n’arrive en vrai!”, confie-t-il en interview à myCANAL. Pessimiste? Pas totalement. Le scénariste insère des pointes d’humour et de tendresse qui permettent au spectateur de souffler un peu avant de se reprendre une vague de catastrophisme à la figure. “Je ne peux pas écrire plus de six lignes sans y mettre une blague. C’est très humain: on rit pour survivre, pour faire face, pour aimer. Je voulais que Years And Years soit une série chaleureuse, pleine d’espoir. Des choses terribles arrivent aux Lyons, mais ils s’aiment et trouvent des moyens pour survivre.”
Prédire l’avenir
L’humour semble aussi caractériser Charlie Brooker et Annabelle Laurent, les créateurs de la mythique Black Mirror. Interviewés dans l’émission d’Arte Tracks (émission spéciale Black Mirror, le vendredi 13 septembre), les scénaristes enchaînent les blagues. Une attitude qui contraste avec leur dystopie dont la plupart des épisodes sont cauchemardesques. “J’imagine toujours le pire dans n’importe quelle situation, confie Brooker. Je pense que ça doit me faire du bien psychologiquement d’écrire des histoires qui explorent tout ça.” Terrorisés par le monde qui les entoure, les scénaristes de dystopies auraient-ils fait des spectateurs les simples réceptacles de leurs angoisses? Le public semble en tout cas friand de ce type de fictions, rassuré peut-être par le caractère universel de ces peurs: on ne flippe plus chacun de notre côté, mais tous ensemble.
Plus qu’un défouloir autothérapeutique, les dystopies mènent finalement au débat, autant dans la sphère privée que dans la sphère publique. Et lorsque la fiction devient réalité, juste retour des choses, les médias n’hésitent pas à faire des parallèles avec ces séries. Ce fut le cas lorsque la Chine instaura son système de notation des citoyens, qui rappelait immédiatement aux sérievores (et aux journalistes) Nosedive, l’épisode 1 de la saison 3 de Black Mirror. Et si les États-Unis ne sont pas (encore?) dirigés par des fanatiques religieux, les récentes lois restreignant le droit à l’avortement entrent malheureusement en résonance avec The Handmaid’s Tale. Visionnaires les dystopies? Pas vraiment, de l’avis de Charlie Brooker: “Notre série a tendance à pointer du doigt ce qui se passe déjà. Mais c’est vrai que nos idées découlent souvent d’un conditionnel: la phrase “et si“ revient énormément dans nos réflexions.” En partant du présent, les dystopies ne font finalement qu’imaginer un futur parallèle, pas si lointain de notre réalité. Et c’est bien ça qui fout les chocottes.
Dystopies, notre top 5
1. Years And Years
En seulement six épisodes, Russell T Davies arrive à construire des personnages intéressants à qui l’on s’attache rapidement et à nous montrer avec lucidité et subtilité de quoi demain sera fait. On flippe, mais on adore ça. Une vraie claque.
2. The Leftovers
Que se passerait-il si 2 % de la population disparaissait mystérieusement? Partant de cet événement, Damon Lindelof développe une série unique en son genre, acclamée par la critique.
3. The Handmaid’s Tale
Sa troisième partie s’est terminée récemment après (enfin) quelques rebondissements intéressants. La résistance contre la dictature de Gilead est en place. On attend avec impatience que tout explose en quatrième saison.
4. Black Mirror
Si ses derniers épisodes ont majoritairement déçu les fans, elle reste une référence dans l’univers des dystopies. Chaque épisode explore un thème différent, et la plupart finissent mal. Vous voilà prévenus.
5. Ad Vitam
Cette série française produite par Arte imagine un monde où les humains vivent éternellement. Ad Vitam enchaîne séquences poétiques, effets visuels et questions existentielles dans un thriller métaphysique qui frôle le fantastique. Un mélange des genres osé, mais réussi.