
Fini le binge-watching, place au speed watching

Vous êtes dans le train, vous vous délectez du dernier épisode de Dark. Mais vous avez mal calculé votre coup, il ne vous reste que quelques minutes de trajet. Pour terminer, ça va être short. N’ayez crainte, ce genre de petit désagrément devrait bientôt cesser. Selon The Verge, Netflix permettra bientôt à n’importe lequel de ses utilisateurs de modifier la vitesse de lecture de ses contenus. Un clic suffira pour réduire de 0,5 ou 0,75, ou au contraire, pour accélérer de 1,25 ou 1,5 fois le rythme normal de l’œuvre (image et son). Pour l’instant uniquement proposée sur smartphones et tablettes Android, la fonctionnalité devrait s’étendre aux autres formats (ordinateurs, télévision, terminaux iOS), en fonction des retours des usagers.
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Cela fait longtemps que des plates-formes comme YouTube, ou des logiciels de lecture comme VLC ont intégré la fonction. Rien de révolutionnaire donc, dans le fait que Netflix s’y mette aussi, si ce n’est l’aspect symbolique de la chose et le signal envoyé par le mastodonte du divertissement. Un signal pas du goût de tout le monde. Dès l’annonce en octobre dernier de la phase test de la fonctionnalité, plusieurs cinéastes, tels que Brad Bird (Les Indestructibles, Mission Impossible) ou Judd Apatow (40 ans, toujours puceau) avaient poussé une gueulante.
Selon eux, ce n’est ni plus ni moins que l’intégrité de l’œuvre qui est menacée par cette option. Permettre au spectateur d’en modifier le rythme, cela reviendrait en effet à s’opposer à la volonté esthétique du créateur, pour qui la durée de l’action est parfois un ingrédient pour bâtir son histoire, au même titre que la nature de l’action en elle-même, que le décor, que la musique, etc. Lien
No @Netflix no. Don’t make me have to call every director and show creator on Earth to fight you on this. Save me the time. I will win but it will take a ton of time. Don’t fuck with our timing. We give you nice things. Leave them as they were intended to be seen. https://t.co/xkprLM44oC
— Judd Apatow (@JuddApatow) October 28, 2019
Plus de culture, ou trop de culture ?
Du côté de Netflix, on assure que cette nouvelle fonctionnalité est une demande des abonnés. Pour la plate-forme, c’est également l’occasion de faire d’améliorer l’accessibilité de ses programmes aux personnes malentendantes et malvoyantes. Pour les premières, cela permettrait de ralentir le débit de parole des personnages et de mieux suivre l’intrigue. Pour les secondes, il est souvent plus facile de suivre un film lorsque le son est plus rapide que la normale, expliquait à The Verge Everette Bacon, membre de la fédération nationale américaine des aveugles.
D’autres voient dans cette fonctionnalité une nouvelle illustration des tares de nos sociétés de consommation. « C’est une pratique qui réduit la série à sa structure narrative, expliquait au Monde le sociologue des médias François Jost. Ce type de visionnage ne fonctionne pas pour des œuvres complexes comme Westworld, exigeant une attention beaucoup plus forte. Si on la regarde en accéléré, on passe à côté d’énormément de détails signifiants. Le speed watching est un rapport à la -culture qui fait penser à celui que l’on peut avoir avec la junk food ».
Cousin du binge-watching (marathon de visionnage qui consiste à s’envoyer des saisons entières jusqu’à plus faim), le speed watching s’inscrirait dans un rapport presque boulimique à la culture. À l’ère du syndrome du FoMO (fear of missing out), le spectateur-consommateur ne peut plus rater la dernière série à la mode, le dernier film bien côté sur AlloCiné, sous peine de se faire spoiler ou pire, de passer pour le ringard à la traîne. Face à « l’explosion de l’offre », comme le note François Jost, le speed watching répondrait à un besoin insatiable de culture, une culture à dévorer toujours plus vite. Au risque de l’indigestion ?