La fermeture du compte Twitter de Donald Trump fait débat

Est-il légitime qu'une entreprise privée censure un président élu en exercice ? Cela pose-t-il un précédent dangereux sur le contrôle de l'information ? Pourquoi les réseaux sociaux n'ont-ils pas agi plus tôt ? Explications.

Belga

La décision est tombée comme un couperet. Twitter a décidé de fermer définitivement le compte de Donald Trump. Le réseau social, outil de communication préféré du président américain (qui comptabilisait 80 millions d'abonnés), s'est justifié en parlant des « risques d'incitation à la violence ». Son absence à la cérémonie d'investiture de Joe Biden a été considérée, après les événements du Capitole, comme une incitation à attaquer les lieux. Certes...

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Derrière Twitter, Facebook, Snapchat et Google ont également pris des mesures. Suspension de compte, interdiction de télécharger les applications du réseau social ultra-conservateur Parler sur Android et Apple... Tous pour les mêmes raisons. Risques d'incitation à la violence. Mais ces risques n'existaient-ils pas déjà avant la tentative d'insurrection du Capitole ? Nous y reviendrons.

« Contrôle de l'information »

La première question qui se pose est celle de la légitimité d'une telle décision. Est-ce légitime qu'une entreprise privée censure un président élu en exercice ? Qu'en est-il de la liberté d'expression ? Techniquement, en effet, cela revient à dire que l'entreprise privée a plus d'autorité qu'un Etat de Droit en matière de partage de l'information. C'est ce qu'a soulevé le lanceur d'alerte Edward Snowden (qu'on n'imagine pourtant pas favorable à Donald Trump) en notant que cette décision était « un tournant dans la bataille pour le contrôle de l'information ».

D'autres personnalités politiques se sont mêlées au débat. Le président mexicain Andrès Manuel Lopez Obrador (gauche populiste) a posé la question : « Qu'en est-il de la liberté et du droit à l'information ? Et du rôle des autorités légalement et légitimement constituées ? »

Pour le secrétaire d'Etat français au numérique Cédric O, « La régulation du débat public par les principaux réseaux sociaux au regard de leurs seules conditions générales d’utilisation, alors qu’ils sont devenus de véritables espaces publics et rassemblent des milliards de citoyens, cela semble pour le moins un peu court d’un point de vue démocratique ».

De l'autre côté du prisme, Hillary Clinton et les démocrates se sont félicités de cette décision, mais déplore qu'elle vienne « trop tard ». Ce que l'éditorialiste du Washington Post Tony Romm résume avec ces mots : « Il s’est passé plus de choses sur la question de la modération des contenus en deux heures que durant les quatre dernières années ».

Inaction, « Fake news » et théories conspirationnistes

De fait. Pourquoi cette décision n'est-elle pas venue plus tôt ? Avant que Donald Trump ne devienne président, mais alors qu'il fustigeait déjà les immigrés, attisait les passions et les haines jusqu'à, plus récemment, appeler à tirer sur les manifestants de Black Lives Matter ?

Pour Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, « le contexte est différent depuis les événements du Capitole. Facebook ne doit pas être utilisé pour inciter à l'insurrection violente contre les représentants démocratiquement élus ». Pourtant, c'est bien sur Facebook que des groupes conspirationnistes comme QAnon ont recruté des milliers de membres, tout comme des groupuscules d'extrême-droite prônant la violence comme Oath Keepers ou 3percenters... C'est aussi sur YouTube (qui appartient à Google) que ces théories conspirationnistes et haineuses se sont propagées à grande vitesse.

En vérité, pendant des années, les réseaux sociaux se sont cachés derrière leur statut d'hébergeur de contenus pour se dire absolument pas responsable de ce qui se disait ou se montrait sur leurs pages. Un refus de modérer les propos qui s'expliquait par l'unique appât du gain. « Pas vu, pas pris », telle était la devise des géants du numérique jusqu'à l'insurrection du Capitole.

Résultats, cette politique d'inaction à créé le phénomène des « fake news » et permis à Donald Trump de prêcher ses mensonges, mais aussi à des théories complotistes de s'inscrire dans la durée et être prises au sérieux par un nombre incalculable de personnes. Et c'est aussi sur ces réseaux que les pro-Trump se sont radicalisés pour finir par refuser les résultats de l'élection du 3 novembre et envahir les instances démocratiques américaines. Les « fake news » et les théories conspirationnistes se sont propagées sur les réseaux sociaux parce que ceux-ci ont refusé de jouer le rôle de modérateur.

La fête est finie

La prise du Capitole a-t-elle changé le contexte ? En vérité, les réseaux sociaux s'apprêtent à voir leur monde changé. L'administration Biden a déjà annoncé qu'elle allait mettre les réseaux face à leurs responsabilités en régulant leur fonctionnement. Facebook doit déjà faire face à une procédure pour abus de position dominante. La décision de Twitter & co arrive comme un gage de bonne entente avec la nouvelle autorité. La fête est finie, mais après près de dix ans sans se sentir responsables de ce qui se passait sur leurs pages, le mal est fait. 

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