HPI: une série pleine de clichés sur les personnes à haut potentiel?

Si elle a le mérite de parler d’un sujet peu abordé dans les fictions, la série peut donner une image tronquée des personnes à haut potentiel.

RTBF

Que ce soit en France ou en Belgique, la série HPI a fait un carton plein d’audiences. Dans l’Hexagone, le troisième épisode a dépassé les 10 millions de téléspectateurs, un record depuis "Joséphine, ange gardien" en 2007. En y ajoutant le replay, le compteur dépasse les 12 millions, là aussi un record depuis le final de "Dolmen" en 2005. Encore ce jeudi soir, TF1 a rassemblé près de 9,5 millions de téléspectateurs.

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Mais est-ce que Morgane Alvaro, le personnage à haut potentiel intellectuel (HPI) incarné par Audrey Fleurot, représente bien les véritables HPI? Pas exactement, comme nous l’explique Sophie Brasseur, psychologue membre de l’asbl Singularités plurielles. Spécialisée dans l’accompagnement des personnes à haut potentiel, elle est l’auteure de l’ouvrage «Le haut potentiel en questions», écrit avec sa collègue Catherine Cuche et qui vient tout juste d’être réédité.

Quel est votre regard sur la série HPI? Est-ce plutôt positif ou négatif pour l’image que l’on se fait des personnes à haut potentiel?

Sophie Brasseur (S.B.): Disons que ça dépend comment c’est traité. En soi, ce n’est pas mauvais. Je pense que c’est positif d’avoir plus d’exemples de personnes HPI dans des films, séries ou autres. Après, si c’est caricatural et que cela laisse sous-entendre que le haut potentiel, c’est ça, cela peut être négatif. Il y a des risques comme des avantages à montrer cela.

Je pense notamment à l’amalgame fait entre HPI et hors-norme. Même si certaines de leurs capacités cognitives peuvent avoir ce côté «hors-norme», il y a plein de personnes à haut potentiel et qui sont tout à fait ordinaires, que ce soit dans leurs vies affectives, relationnelles et autres. Il n’y a pas forcément de pensée complètement divergente. Or c’est ce que l’on met souvent en évidence, alors que ce n’est pas juste. Cela ne représente pas la majorité des personnes HPI et cela peut être délétère.

Vous avez donc peur que l’on surinterprète les caractéristiques constatées chez certains HPI.

S.B.: C’est exact. Nous sommes plusieurs psychologues à essayer de faire comprendre que le haut potentiel intellectuel est avant tout intellectuel. Cela ne présage en rien de la personnalité de la personne par exemple. Pareil pour son ouverture au monde, de ses capacités relationnelles, etc. Il y a vraiment une multiplicité de profils. On remarque surtout ceux qui ont ce côté extraordinaire, un peu à part, mais cela ne représente pas l’intégralité des personnes à haut potentiel. Il n’y a pas de profil type au niveau affectif.

Pourtant, dans le générique, on a toute une série d’adjectifs censés qualifier le HPI, dont «hors-cadre». Pour moi, ce n’est pas juste. Cela décrit très bien le personnage de la série et il se fait qu’au-delà de cela, cette femme a un haut potentiel intellectuel, mais les HPI ne sont pas tous comme cela.

Parmi les caractéristiques les plus flagrantes du personnage, il y a le fait qu’elle est assez peu empathique. Est-ce que cela n’entre pas en contradiction avec la grande sensibilité généralement attribuée aux HPI?

S.B.: En l’occurrence, je trouve cela plutôt intéressant justement. Ça vient contrer cette image du haut potentiel qui serait forcément très empathique. J’ai pu rencontrer des HPI qui ne sont pas du tout comme ça.

La difficulté, c’est que si une personne est empathique et HPI à la fois, elle sera ultra-empathique et se mettra totalement à la place de l’autre. Avant même que quelque chose n’arrive, elle saura comment un tel ou tel se sentira. Mais l’inverse peut également arriver et ici, la série casse ce cliché.

Dans la série, l’héroïne a des capacités mentales très élevées. Elle sait au centime près ce qu’elle doit payer à la caisse avant d’y arriver, elle fait attention au moindre détail et ce constamment… Est-ce que ce n’est pas exagéré?

S.B.: Je pense que oui, un peu quand même. Les personnes à haut potentiel ont en effet une bonne mémoire et certaines calculent très rapidement. Mais le trait est un peu forcé.  À un moment, on voit aussi que sa fille l’interroge sur où se trouve tel ou tel vêtement, et elle répond du tac au tac que c’est entre tel et tel objet. C’est un petit peu exagéré. Après, le fait que certains HPI aient une excellente mémoire, oui, ça peut arriver. Mais il faut préciser que toutes les personnes à haut potentiel se souviennent de tout en permanence.

Dans une interview à «C à vous», l’actrice Audrey Fleurot explique qu’elle s’est renseignée sur le sujet et que les HPI ont par exemple «souvent des difficultés scolaires». Est-ce que cela correspond à la réalité?

S.B.: On parle parfois de 70% d’échecs scolaires chez les HPI mais les chercheurs ont du mal à expliquer ce chiffre. En réalité, il n’y en a pas autant. Bien sûr, il y a des haut potentiels en échec scolaire et c’est un drame, comme pour n’importe qui d’autre, mais de nouveau cela ne représente pas la totalité de cette population-là.

Au fond, si on doit en retenir quelque chose, ce que les HPI n’ont rien de bien «spectaculaire» en quelque sorte, contrairement à ce qui est parfois montré dans la série.

S.B.: C’est ça, oui. Parfois, il y a un côté «spectaculaire» vu leurs compétences dans certains domaines. Après, au niveau des personnalités, ils en ont choisi une haute en couleur et c’est normal, mais ils auraient pu aussi en choisir d’autres qui étaient tout autant HPI. Ici, l’image des HPI est un peu tronquée.

De manière générale, comment les psychologues détectent les HPI et quel est l’intérêt de cette démarche?

S.B.: Pour mettre en évidence un haut potentiel, il faut faire un bilan psychologique global avec un test intellectuel. Il n’y a pas d’autre moyen et cela ne peut pas se faire en ligne par exemple. Cela prend du temps et de l’énergie, ça ne se fait pas en trois clics. Mais il faut préciser que dans les tests de QI, il y a plusieurs sphères de compétences. Parfois, on a des personnes avec de grandes capacités verbales mais pas pour la mémoire de travail, et inversement d’ailleurs. De hautes compétences intellectuelles vont être une condition essentielle et permettent à elles seules de parler de haut potentiel mais ce n’est pas suffisant pour les psychologues. Il faut mettre ça en perspective avec son fonctionnement plus global, sinon ça ne sert à rien. Identifier des capacités intellectuelles n’aidera pas en soi la personne en question, surtout que si elle consulte, c’est souvent parce qu’elle a des difficultés quelque part : soit au niveau scolaire, des relations, de sa stabilité émotionnelle… Le bilan n’a de sens que s’il répond à des questions préexistantes. Je reçois par exemple des adultes qui ont l’impression de ne pas savoir qui ils sont. S’il n’y a pas de questionnement à la base, faire ce test ne sert à rien, en effet.

Les psychologues reçoivent surtout des personnes HPI avec des problèmes dans leur vie scolaire, sentimentale, etc.. Est-ce que cela n’est pas justement à l’origine des clichés que l’on a sur cette population?

S.B.: C’est tout à fait vrai. La plupart des livres sur le sujet ont été écrits par des cliniciens qui se sont basés sur leurs expériences avec leurs patients. Du coup, forcément, les gens qui vont les voir ne vont pas bien. Il y a une surreprésentation de ceux qui sont en difficulté, mais il y aussi tous les autres.

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