
Les raisons du succès fulgurant de «Squid Game»

Le succès est total. Depuis sa sortie mi-septembre, «Squid Game» est devenue la série la plus populaire de Netflix dans tous les pays du monde (sauf en Turquie, Thaïlande, Indonésie, au Viêtnam et au Danemark). L’engouement est tel que même la production sud-coréenne deviendra «sans aucun doute notre plus grande série non anglophone au monde», a déclaré le PDG de Netflix Ted Sarandos, «et il y a une grande chance qu’elle soit la plus populaire de notre histoire». «Nous ne nous attendions pas à une telle popularité mondiale», avoue-t-il. «Squid Game» serait ainsi bien parti pour dépasser le record établi par «Les Chroniques de Bridgerton» (vue par 82 millions d’abonnés avec un total de 625 millions d’heures de visionnage en quatre semaines). Pour comprendre les clés de ce succès, il faut se pencher sur la mécanique bien huilée de la série, mélange subtil des genres pour plaire à tous les publics.
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Quand un film «bizarre» se transforme en un blockbuster de Netflix
En résumé, Squid Game est un jeu de survie (un «survival» pour les intimes). Une sorte de «Hunger Games» à la sauce coréenne, où des concurrents participent à des jeux au péril de leurs vies. Mais à la différence de son cousin américain, les candidats participent ici volontairement et les épreuves sont inspirées… par des jeux d’enfants, comme «1, 2, 3, Soleil». Celui qui perd meurt, celui qui gagne remporte un très gros jackpot: 45,6 milliards de wons (soit environ 33 millions d'euros).
Le concept peut paraître un peu étrange, et le réalisateur Hwang Dong-hyeok en était bien conscient. Lorsqu’il a conçu l’ébauche de Squid Game sous forme de film à la fin des années 2000, le scénario était qualifié de «bizarre» et personne n’a voulu le soutenir. Ce n’est qu’avec Netflix qu’il a pu concrétiser son projet. «Je savais que ce serait tout ou rien, soit un chef-d'œuvre, soit un flop», déclare-t-il dans une interview au Korea Times. «Mais après environ 12 ans, le monde est devenu un endroit où des histoires de survie aussi étranges et violentes sont les bienvenues. Les gens ont commenté la pertinence de la série dans la vie réelle. Malheureusement, le monde a changé dans cette direction. Les jeux de la série sur lesquels les participants deviennent fous s'alignent sur les désirs des gens de toucher le jackpot avec des choses comme la crypto-monnaie, l'immobilier et les actions. Beaucoup de gens ont pu comprendre l'histoire».
Des jeux universels
Si le scénario de Squid Game plaît autant, c’est aussi parce qu’il a un double visage. D’une part, il a ce côté enfantin des jeux qui fait mouche. C’est particulièrement manifeste sur TikTok où la série a fait un véritable buzz, avec des dizaines de millions de tags #squidgame. Internautes et influenceurs aiment imiter les jeux comme «1, 2, 3, Soleil» ou celui de l’alvéole (où il faut découper une forme dans un biscuit sans la casser), tout en choquant avec la mort des joueurs en cas d’échec. Bref, tous les ingrédients sont là pour que leurs vidéos marchent, et cela a donné à «Squid Game» une publicité phénoménale (et gratuite). Les premiers articles de presse à repérer le succès fulgurant de la série sont d’ailleurs souvent ceux qui ont commenté la viralité de cette tendance sur TikTok. «Les jeux coréens pour enfants, qui ont été utilisés dans ma série, sont simples et anciens, mais j'ai vu le potentiel de les rendre attrayants dans le monde entier», explique Hwang Dong-hyeok, qui précise les avoir choisi avec soin pour que cela parle à un public le plus large possible.
Autre exemple de la réussite de ce concept enfantin: la salle de jeux temporaire inspirée de la série et ouverte à Paris le week-end dernier, qui a été littéralement prise d’assaut. Des files immenses se sont formées dans les rues adjacentes, en plein centre de la capitale française, et certains fans ont attendu parfois près de six heures pour y entrer. Le dimanche, des bagarres ont même eu lieu tant la tension était forte. La police a dû intervenir.
La critique du capitalisme: reflet de notre société actuelle
Mais «Squid Game» ne se limite pas qu’à ce côté insouciant, loin de là. Il y a son autre visage. «'Squid Game' implique des jeux de survie, mais il s'agit en fait de personnes. Il ne faut pas longtemps au public pour comprendre les règles des jeux, ce qui leur donne plus de place pour suivre les émotions des personnages qui jouent le jeu», précise le réalisateur. Cette place centrale accordée au personnage permet dès lors à Hwang d’aborder le véritable sujet de sa série: une réflexion profonde sur les inégalités au sein de la société actuelle où l’argent est roi, avec toutes les dérives que cela implique. Il décrit sa production comme une «histoire relevant de l’allégorie ou de la fable sur la société capitaliste moderne, poussant la concurrence à l’extrême pour renvoyer à la concurrence extrême que nous subissons dans la vie».
Chaque personnage représente ainsi une classe sociale à laquelle chacun peut s’identifier et chaque jeu est entrecoupé d’une succession d’intrigues secondaires qui donnent à «Squid Game» des allures de «montagnes russes», comme l’explique Hwang Dong-hyeok. «D'autres séries ou films similaires suivent un héros résolvant des énigmes difficiles pour devenir un gagnant. Mais cette série est une histoire de perdants», dit-il.
Hwang précise par ailleurs que ce mélange entre la folie des jeux et le côté réaliste de la série était la partie la plus difficile à imaginer. La recette devait être subtile et intelligente. «Une telle situation ne se produirait jamais dans la vraie vie, donc c'est irréaliste et ça ne pourrait plaire qu'à ceux qui aiment ce genre spécifique. J'ai donc dû trouver un équilibre parfait entre les éléments fantastiques et réels», confie-t-il. Approfondir cette critique du capitalisme a été pour Hwang le moyen de trouver ce juste milieu.
Un contexte favorable
Un dernier élément a participé au succès de «Squid Game»: son contexte de production. Si Netflix a soutenu le réalisateur pour faire aboutir son projet, ce n’est pas par hasard. La plateforme a beau être américaine, elle mise de plus en plus sur les productions d’autres pays. «Lupin» et «La Casa de Papel» en sont les symboles les plus représentatifs. «Nous voulons des histoires créatives et originales et nous ne les trouvons pas dans les grandes productions de franchise» américaines, a déclaré Cynthia Wang, une écrivaine de la culture pop, à la radio ABC.
Certes, les Marvel et les remakes de Disney plaisent toujours, mais le public aspire aussi à autre chose. Avant l’arrivée de Netflix, il était difficile de regarder des séries provenant d’autres pays. La plateforme américaine a permis de briser ce plafond de verre. Des séries européennes, coréennes et autres sont aujourd’hui regardées dans le monde entier. Sans cela, le succès de «Squid Game» se serait limité à la Corée du Sud.
Enfin, le gouvernement sud-coréen a fait de la culture un enjeu crucial pour développer le «soft power» du pays. Ce n’est pas nouveau mais il a fallu des années pour que cela porte ses fruits. Le succès de la K-Pop en est la preuve. Il y a d'abord eu le buzz incroyable de Psy puis aujourd’hui, ce sont des groupes comme BTS qui se sont imposés. Le boys band est désormais durablement installé sur la scène culturelle américaine, et donc sur le marché mondial. Les dramas et le cinéma coréens se sont développés en parallèle, à l’image du film «Parasite» qui a remporté la Palme d’or à Cannes en 2019. Hwang Dong-hyeok est bien conscient que sa série se place dans la lignée de cette «vague coréenne», la Hallyu, comme il le confirme au Korea Times. Un porte-parole de Netflix a par ailleurs déclaré à ABC qu'il y avait «beaucoup plus d’avenir de Corée». «C'est l'un de nos plus grands marchés de contenu», assure-t-il. «Squid Game» aura réussi à tirer son épingle du jeu parmi ces productions coréennes pour s’imposer définitivement à l’international. Consécration ultime: la série a obtenu la note parfaite de 100% sur Rotten Tomatoes, le site de référence sur les critiques de cinéma.