Comment vivaient les Belges sous l'occupation nazie? Un podcast interroge des témoins de l'époque

En recueillant et analysant les souvenirs de ses grands-parents, le journaliste Romuald La Morté invite à s'immerger dans la Belgique en guerre de 40-45.

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Illustration du podcast « Je n’étais qu’un gosse » ©D.R.

Si vous vous intéressez à la Deuxième Guerre mondiale, vous connaissez sûrement les grandes batailles et personnalités de 40-45, tant les documentaires réalisés sur ce thème sont nombreux. Mais que sait-on du quotidien du commun des mortels à l'époque? Force est de constater que cette question est beaucoup moins souvent abordée, tout particulièrement en Belgique. C'est ce sujet peu exploité qui fait l'objet d'un tout nouveau podcast, intitulé "Je n'étais qu'un gosse" et réalisé par le journaliste Romuald La Morté. Son idée: inviter ses grands-parents à raconter leur vécu, avec cette perspective particulière liée au fait qu'à ce moment-là, ils n'étaient que des enfants. Un récit analysé ensuite par des historiens pour mieux s'immerger dans le contexte de ce que vivaient plus largement tous les Belges. Des quatre épisodes qui sont prévus, deux sont déjà disponibles en ligne sur internet et les principales plateformes audio (Spotify, Apple Podcasts, Deezer, Amazon Music). L'occasion de se replonger 80 ans en arrière, dans cette Belgique occupée que l'on a tendance à oublier.

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De l'invasion à la libération

Depuis qu'il a 18 ans, le journaliste voulait enregistrer ses grands-parents, pour préserver leur mémoire. "Puis il s'est trouvé que j'avais le matériel pour le faire", nous raconte-il. Au même moment, la guerre éclatait en Ukraine et cela a donné une autre dimension à son projet. "Je sentais que mes grands-parents étaient touchés de ce qui se passait. Ils ont commencé à reparler de 40-45 et c'est à partir de là que je me suis dit: 'Il y a des choses qui leur font vraiment écho, il faut en faire un podcast'", explique Romuald La Morté.

Au cours des deux jours passés chez eux pour évoquer le passé, il les a interrogés et laissés parler de ce qu'ils avaient vécu lors de l'invasion allemande, avec leur exil en France puis leur retour dans un pays désormais occupé. S'en suit le quotidien sous l'Occupation, avec des moments surprenants. "Ce qui m'a marqué, c'est que du point de vue de mes grands-parents, il y a un avant et un après 1942. Au début, ç'était 'tranquille' comme ils disent. Les Allemands ne voulaient pas commettre à nouveau les exactions de 14-18 et quand ils sont arrivés, ils donnaient même des bonbons". Le grand-père se souvient d'ailleurs que son paternel avait pu nouer une relation cordiale avec un commandant allemand. Les deux avaient pourtant combattu lors de la Première Guerre mondiale dans des camps opposés. Mais la relation humaine l'emportait, ce commandant avouant même que cela ne lui plaisait pas d'être sous les ordres d'Hitler.

"Puis il y a l'enlisement de la guerre, les actes de résistance et la perspective de l'arrivée des Alliés. À ce moment-là, l'hostilité devenait croissante". En atteste cette histoire d'un résistant qui avait tué un Allemand. "Suite à cela, une dizaine de notables ont été directement fusillés dans le village. Lorsque des Allemands sont rentrés armés chez ma grand-mère en demandant les papiers d'identité, son père tremblait et est même tombé à terre, en pensant que son heure était venue. Il y avait donc un climat de normalité puis des moments qui rappellent bien l'occupation".

Enfin, il y a la libération, qui ne signe pas pour autant la fin des tensions. "Mes grands-parents parlent beaucoup de ce climat de rancœur envers ceux qui se sont enrichis pendant l'occupation. La guerre ne se finit pas avec la libération", note le journaliste.

Un vécu "qui fait écho" autant en Belgique qu'en Ukraine

À la fin de chaque épisode viennent ensuite les historiens pour mieux comprendre les témoignages ici exposés. Cet éclairage est toutefois volontairement séparé de ce que racontent ces survivants de la guerre. "C'était important pour moi d'avoir ces deux démarches. Avec mes grands-parents, il y a ce ton intimiste parce que je suis leur petit-fils, avec une immersion dans leurs vies", explique Romuald La Morté, qui a fait des études d'histoire avant de faire le journalisme. Il a d'ailleurs eu comme professeur l'un des experts ici interrogés, Axel Tixhon, ex-bourgmestre de Dinant et spécialiste de la Belgique contemporaine.

Avec son podcast, il veut que l'Histoire ne se raconte plus seulement "en dates et en chiffres" mais aussi avec des récits. "Ici, ce n'est que le vécu de mes grands-parents, mais cette histoire a été la réalité de tant d'autres Belges. J'ai d'ailleurs des personnes qui m'ont dit que cela faisait écho à ce que leurs aînés leur racontaient. Ça parle aux gens", constate-il. Une de ses amies, originaire d'Ukraine, lui a raconté qu'elle se reconnaissait elle aussi sur certains points, en repensant à l'occupation de son pays par la Russie de Poutine. "Par exemple, il y a le fait que l'on ne s'attendait pas à l'arrivée d'une guerre alors que cela nous pendait au nez. Puis il y a les privations, la résistance, etc. Ces situations ne sont pas totalement comparables mais cela peut donner une idée de ce que c'est d'être dans un pays occupé".

Avec cette entreprise de vulgarisation qui lui tient à cœur, Romuald La Morté veut aussi faire passer un message: "Prenez un enregistreur et préservez les souvenirs de vos proches!". "L'idée ici, c'est d'aborder un fait historique mais aussi de donner l'envie aux gens de garder une mémoire sonore. Avec la diffusion du podcast, j'ai reçu plein de messages de personnes qui sont tristes de ne pas l'avoir fait. D'autres m'ont dit qu'ils allaient le faire, et qu'ils étaient émus d'entendre ma famille qu'ils ne connaissaient pourtant pas", explique-t-il. En tout cas, pour sa part, le journaliste pourrait continuer l'expérience. "Je vais voir comment se passe la saison 1 mais dans ma tête, une saison 2 est déjà prévue. Est-ce que je vais pouvoir la réaliser ou pas? C'est une autre question qui n'est pas encore tranchée".

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