

Avec l’automne, la rumeur va revenir. On lui promettra le prix Nobel pour ce qu’elle a apporté d’unique à la littérature. À 82 ans (depuis ce 1er septembre), Annie Ernaux résume son travail en disant que ses livres racontent une existence de femme dans son temps. Ce mélange de récits presque confessionnels reliés aux changements de la société trouve sa plus belle incarnation dans Les années. Comme l’indique son titre, Les années super-8 renvoie à cette démarche, mais à partir d’un matériau inédit: de simples films de famille, muets et tournés entre 1972 et 1981 par son mari Philippe Ernaux. Quarante ans plus tard, Annie Ernaux en a écrit le commentaire.
Sa voix explique le quotidien, isole les éléments qui trahissent un couple qui va se séparer, avoue derrière le bonheur affiché sa solitude de mère rédigeant en secret son premier vrai livre, Les armoires vides. On ne sera pas surpris par ses commentaires socio-politiques (voyages au Chili, en URSS, mort de Franco, Mitterrand président), mais on verra pour la première fois ce qu’elle a si souvent écrit: son changement de classe sociale. Le contraste est saisissant entre sa mère, ex-petite épicière, et les intérieurs bourgeois d’un jeune couple élégant, en poste en Suisse ou en vacances au Maroc et en Italie. On constatera aussi l’air souvent absent d’Annie Ernaux, l’éternel retrait craintif de la transfuge sociale. Ce document d’une heure se révèle étonnamment émotionnel. Sans doute parce qu’il représente beaucoup pour son fils cadet David Ernaux-Briot qui l’a conçu. Les années super-8 sont aussi ses souvenirs d’enfance, avec quelques images d’un père aujourd’hui décédé, mais alors jeune, beau, moderne. Un fils si ému qu’il a engagé un spécialiste capable de lire sur les lèvres pour tenter de comprendre ce que ce revenant disait à la caméra. En vain.
https://www.youtube.com/watch?v=VLHGRd_Yhg8