

Observateur féroce, Ruben Östlund a décomposé la figure paternelle dans Snow Therapy en 2014. Il s’est payé l’art contemporain dans The Square qui lui a valu sa première palme d’or à Cannes. Il remet ça avec les personnages très riches en croisière luxueuse dans Triangle Of Sadness (Sans filtre) qui lui a rapporté sa deuxième palme d’or l’année dernière. Deux palmes qui l’amènent, cette année, à occuper le fauteuil de président du jury... Sans filtre met en scène les aventures luxueuses d’un couple de mannequins et influenceurs, Yaya et Carl qui entreprennent une croisière sur un yacht de haut standing. Souvent Östlund filme avec délectation les micro-incidents - comme cette conversation au restaurant entre Yaya et Carl à propos de qui va payer l’addition - qui prennent des proportions énormes.
À bord du yacht, Carl et Yaya sont entourés par un oligarque russe et ses deux compagnes, un couple de retraités fortunés et botoxés. Et un personnel de bord aux petits soins, taillable et corvéable à merci, malgré l’indécence et le mépris de classe affiché de leurs “maîtres”. Une météo capricieuse va être l’occasion rêvée pour Östlund de se livrer à un virulent renversement des rôles où ces individus monstrueux - qui n’ont pas de véritable chair et ne sont que la métaphore du concept “classe ultra- privilégiée” chez le cinéaste - vont morfler. Et pas un peu. À travers des scènes comme il les aime, étirées jusqu’au malaise, Östlund dézingue (parfois gratuitement) son petit monde affreux, riche et méchant, mais pas seulement. Personne ne semble avoir ses faveurs, pas plus les classes “inférieures”. On le dit nihiliste et misanthrope. Östlund a plutôt l’air d’un homme blessé de voir les humains tomber si bas. Et avec Sans filtre, il le leur rend bien!