Bienvenue au club de lecture

Qui se réunit encore aujourd’hui pour discuter bouquins? Rassemblant le cercle des lecteurs disparus, les groupes de lecture forment le dernier bastion de résistance à Netflix.

ouverture

Le mien a été fondé par une libraire. Je l’ai intégré il y a plus d’une dizaine d’années. Nous sommes actuellement entre 10 et 12 à lire soit chacun un livre différent mais du même auteur, soit le même livre. Chaque mois, un thème différent. Celui qui reçoit prépare un plat, les autres amènent le reste. Au fur et à mesure des années, c’est devenu… un rituel” , décrit Corinne Gere, 66 ans, livre-clubbeuse au long cours et grande lectrice depuis toujours. “Mais le groupe se délite un peu pour le moment; on se connaît tellement qu’il devient moins passionnant d’entendre l’avis des autres.” L’intérêt du groupe réside justement, semble-t-il, dans la réunion autour d’une table, d’un verre, de gens que l’on connaît moins bien, différents par l’âge, le sexe ou la profession.

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Ce qui reste intéressant, c’est la découverte”, appuie d’ailleurs Corinne Gere. “Il faut chaque mois trouver un nouveau sujet. Ça peut être n’importe quoi – la littérature qui a trait à la cuisine, les romans policiers belges, Houellebecq, la littérature russe… Gynécologue et psychotérapeute, j’ai un jour proposé de la littérature écrite par des psychiatres. Il y a en beaucoup.” Est-ce la lecture de livres qui soude le club? Ou le groupe qui fait les larrons lecteurs? Un subtil équilibre entre les deux, sans doute. Eddy Kaganek participe à une ‘tournante de lecture’ prétexte à des réunions régulières autour d’une table. “On lit le même livre, et on en parle pendant un repas. À la fin, chacun vient avec des propositions pour le suivant. Il faut convaincre, on décide par vote. J’ai amené le romancier américain, Michaël Farris Smith, que personne ne connaissait. Et le bouquin d’un auteur français de polar, Olivier Norek. Écriture pas terrible, mais sujet touchant, dans la jungle de Calais”. Maître-mots des clubs: curiosité et ouverture d’esprit. Ils s’envisagent alors davantage comme association que cercle d’amis (même si ce n’est pas exclu), découverte et surprise au rendez-vous, importance du collectif construite autour de l’expression de chaque singularité.

Nourritures terrestres, et autres

Chaque club développe ses propres habitudes, rythmes, modalités. Eddy Kaganek aime ces moments informels, conviviaux, qui lui ont permis de rencontrer des personnes qu’il n’aurait sans doute pas croisées autrement, hommes et femmes tous plus moins issus de la classe moyenne, niveau d’étude supérieur, certains expats. Un groupe plus paritaire que celui de Corinne Gere qui, pour sa part, se demande où sont les hommes? Les statistiques confirment: les femmes lisent plus. Le club de lecture traînerait-il encore dans l’inconscient collectif, l’image de rassemblement de femmes qui papotent? Ces réunions plus ou moins informelles mais codifiées remplissent un besoin de sortir de la lecture solitaire, et de partager, quand on lit un bon livre, ce qui nous emporte ou débecte.

Lieu d’échanges, le club joue aussi celui de la socialisation – précieux – comme en témoigne l’expérience de la bibliothèque de Saint-Gilles: une fois par mois, une petite dizaine de participants se réunit “plutôt des seniors, hommes et femmes, des habitués”, décrit Catherine Lehon. “Le principe n’est pas de lire tous le même livre en même temps. La bibliothécaire animatrice ou un des participants présente un coup de coeur, roman (nouveauté ou classique), livre documentaire, genre littéraire. Suit une discussion conviviale. Boissons et petites choses à grignoter sont toujours au rendez-vous. Les réunions de décembre et de juin se clôturent avec un repas auberge espagnole.” Une fois par an, l’animatrice organise une rencontre avec un auteur. Les clubs de lectures pullulent-ils? En ce qui concerne les ‘informels’, ce n’est pas certain. Les activités associatives, –“Des mots pour le livre” chez la librairie engagée Barricade à Liège, ou “Lis, ça te changera” de l’ASBL Quinoa, les soirées littéraires dans les librairies avec rencontre avec auteurs, ou le
club de lecture de l’auteure Caroline Larmarche à Passa Porta (Bruxelles) remportent pas mal de succès. Ils diffèrent cependant d’un “simple” club par la présence d’experts.

Nés en 1830

L’ancêtre de ces réunions, où le livre fait physiquement son apparition vers 1830, serait le moment “de commentaire des événements, grands ou petits, qui touchent la vie de chacun et de tous” qui succédait à la veillée et à ses lectures publiques (récits des contes et des légendes racontés par les anciens), avance le Bulletin des bibliothèques françaises. Un élément, à l’époque, essentiel de la culture populaire. “On discute de plein sujets. Parfois, ça monte, il y a des controverses”, s’enthousiasme Eddy Kaganek. “Mais on parle aussi concerts, émissions, documentaires… ou séries”. Le mot est lâché. Au club de Corinne, “personne ne parle de séries”, un break apprécié par celle qui reconnaît être devenue accro.

Mon club est une espèce de structure pour maintenir un intérêt pour la littérature; je lis beaucoup moins maintenant, un livre par semaine ou tous les quinze jours. Il faut se concentrer. Devant une série, on est totalement passif. C’est tellement facile quand tu es crevée… Chernobyl, c’est quand même bien fait.” Corinne Gere insiste encore sur le rôle d’ouverture du club de lecture. “Souvent, j’ai des a priori, sur un auteur, une catégorie de livres, ou je lis une quatrième de couverture: beurk! Puis d’autres me disent que c’est génial. Ça m’a fait super plaisir de voir que l’image que je me faisais avait changé. Comme l’image que j’avais de moi-même (ce type de littérature ne me convient pas).” La gynécologue tout juste retraitée poursuivra ses lectures parce que “lire, c’est se plonger dans un univers autre, vivre des émotions, c’est aussi une manière de connaître l’être humain, et donc de se connaître soi-même.” Une jolie définition. À partager.

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Le club des retraités

Chez les seniors, les livres entraînent la mémoire. Et ressuscitent les souvenirs. Dans le cercle d’une grosse vingtaine de chaises rassemblées dans le salon d’une maison de retraite d’Evere un mercredi à 10h30, il y a Yolande, qui dit qu’elle est trop jeune pour être ici; Raymonde, discrète – au début!; Roland, au visage sérieux; un monsieur en chemise bleu ciel, la voix pleine d’émotions; une dame à la diction très nette, et Ginette, la mère de Thierry Tinlot qui prend place à côté d’elle. constate qu’il continue ici à faire son métier.

L’homme de médias, ancien rédacteur en chef de Spirou, constate qu’il ne fait ici, environ une fois par mois, que son métier, “aborder une assemblée, la faire parler”. Le livre du jour? Rosemary, l’enfant que l’on cachait, un essai écrit en 2015 par une historienne, racontant la vie de la troisième Kennedy, une fille pleine de vie souffrant d’un handicap mental. L’histoire tragique d’une femme, d’une famille, d’une époque impatiente face à la différence. Cinq résidents ont lu le bouquin, un point de départ pour travailler la mémoire, faire resurgir des souvenirs, des émotions, fortes, parfois. Le moment est intense, les thèmes amenés par Thierry Tinlot défilent. Le regard sur le handicap, la compétition entre membres d’une même fratrie, la pression familiale, la maltraitance… Les visages attentifs ne perdent rien de la discussion, même si certains et certaines ne diront rien.

 

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Des clubs de jeunes?

Aux States, le ‘bookclub’, c’est ‘hot’, mais virtuel. Le plus célèbre? Celui animé de 1996 à 2011, 450.000 membres, par Oprah Winfrey, papesse de la télévision américaine, où elle met en lumière de grands romanciers contemporains, Cormac McCarty (La Route), Jeffrey Eugenides (Middlesex) ou Jonathan Franzen (Les Corrections et Freedom). Ou des écrivains du passé, John Steinbeck, Léon Tolstoï, Charles Dickens… En 2016, Emma Watson lance le sien, féministe, “Our Shared Shelf”, plus de 225.000 membres à ce jour. Pour chaque période, la lecture d’un livre abordant les thèmes de la race, du genre, de la justice sociale, suivie de discussions en ligne. En ce moment: Beloved, de la grande romancière récemment décédée Toni Morisson.

 

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