International Brussels Tattoo Convention: reportage au cœur d'un studio de tatouage

L'International Brussels Tattoo Convention s'est ouvert hier jusqu'à dimanche. Les tatouages font désormais partie intégrante de la parure du corps. Comme les montres ou les colliers. Visite d’une de ces nouvelles bijouteries…

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Ixelles, 11h00, un jour de semaine. Jérôme porte un certain nombre de piercings, aux oreilles et au nez, une coiffure iroquoise qui laisse paraître deux flancs de crâne impeccablement rasés et des lunettes rondes en écaille qui soulignent un regard clair et franc. Et bien sûr, des tatouages. Jérôme est le propriétaire du Studio “La Perle Noire” situé en plein coeur du quartier universitaire. L’endroit est lumineux, chaleureux, propre et meublé avec goût. Des estampes japonaises décorent les murs grenat. Nous sommes assis dans de profonds fauteuils Chesterfield. Autour d’un café on parle de l’extraordinaire histoire du tatouage. Parce que avant d’être un phénomène contemporain - plus de 10 % de la population serait tatouée, un jeune sur quatre! -, le marquage indélébile du corps a une très longue histoire.

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On croit que ce sont les Anglais qui ont popularisé le tatouage après l’avoir découvert en Polynésie. De fait, le capitaine James Cook, vers 1750, rapporte en Angleterre que les populations des îles d’Océanie se marquent le corps avec des pigments de différents motifs. En tahitien, ta signifie “dessin inscrit dans la peau” et Atua, “esprit”. Taatua deviendra en 1769 “tattoo” en anglais et sera francisé quelques années plus tard. Sauf qu’il sera principalement l’apanage des marginaux et des criminels. Les tatouages constitueront d’ailleurs des éléments d’identification signalétique utilisés par la police.

La découverte diffusée en Europe par les marins de la Royal Navy n’en est pourtant pas une. C’est une autre découverte, récente celle-là, qui nous le rappellera. Et elle nous sera livrée par les entrailles d’un glacier. Le 19 septembre 1991, un couple de randonneurs allemands découvre un corps gisant sous un glacier du Tyrol italien. Ils croient à un alpiniste victime d’un accident. Ils préviennent la gendarmerie. Qui, elle, constatant des taches bleues à la base du crâne, croira à un crime et ouvrira une enquête pour meurtre. Mais le médecin légiste va livrer un étonnant résultat. Le corps est celui d’un homme ayant vécu 3.300 ans avant notre ère. Son surprenant état de conservation est dû à la glace et un phénomène rarissime: la saponification du cadavre qui arrête la décomposition et transforme le corps en une espèce de cire. Et les “taches bleues” à la base du crâne sont des tatouages. Au nombre de 61, il s’agit principalement de lignes parallèles groupées, possiblement pour un usage médical. L’Europe fut tatouée bien avant les marins de James Cook… “En fait c’est le christianisme qui, peu à peu, va faire disparaître le tatouage d’Europe. L’Église décrétera que c’est un péché de modifier l’oeuvre de Dieu”, confirme Jérôme. Ainsi entre le IXe siècle et le XVIIe siècle c’est l’éclipse du marquage du corps. Pendant 800 ans.

Le tatouage réapparaîtra, comme on l’a vu, “mais jusqu’il y a 20 ans, il sera porté principalement par des taulards ou des prostituées. Même si une tradition militaire explique quelques exceptions prestigieuses, comme Churchill qui avait une ancre tatouée sur le bras”.

Éviter le coup de tête

Il y a 20 ou 25 ans, ce qui était rarissime a donc vu le jour un peu partout: des studios de tatouage. À “La Perle Noire”, ils sont cinq à travailler. Jérôme, 31 ans dans un mois, a racheté en janvier dernier le studio à l’ancien patron qui est parti s’installer dans les Caraïbes. Chacun a son domaine de prédilection. Jérôme est spécialiste de tout ce qui est polynésien, Selina, spécialiste du “handpoke”, réalisé par un ensemble de points faits par une aiguille à la main, Manu, expert du tatouage réaliste, Bram, le doyen, 37 ans, de la polychromie et Nattoo, la reine du style “mandala”, ces tatouages symboliques d’origine bouddhiste.

L’activité peut se révéler lucrative. Un tatouage, c’est minimum 80 euros, aussi petit soit-il. Ceci parce qu’il y a une charge “fixe”: il faut désinfecter le matériel à l’autoclave pour une séance de 15 minutes comme pour un “marathon” de 7 ou 8 heures. Dans ce dernier cas, cette journée entière bookée avec un tatoueur vous reviendra à plus ou moins 750 euros. Et le travail du tatoueur ne se limite pas qu’à la manipulation du dermographe. “On discute, on fait un pré-dessin, puis on prend rendez-vous pour le tatouage en lui-même. Avant le jour J, on passe d’un croquis à un dessin “définitif”. Cela limite les décisions prises sur un coup de tête.”

Angela, 22 ans, en 3e année de droit, est en pleine discussion avec Selina. La jeune femme voudrait se faire tatouer un paysage entre les deux omoplates. “La lune pour symboliser ma mère qui a donné naissance et qui éclaire notre famille. Les quatre arbres représentent mon frère, mon père, ma mère et moi. Et les montagnes pour que l’on aille tous de plus en plus haut” explique l’étudiante, qui a une hésitation pour la lune. Le handpoke dont Selina s’est fait une spécialité est très joli, délicat. C’est assez similaire au style pointilliste popularisé, en peinture, par Georges Seurat. Le paysage dessiné par Selina plaît à sa “cliente”. On emploie des guillemets parce que assez naturellement, dans le Studio, on se tutoie très vite entre tatoueurs et clients, de sorte qu’assez rapidement on a l’impression d’être dans une famille. “Mais, tu vois, la lune, je la sens pas trop.” Angela cherche une image sur son smartphone.

Comme un médecin de famille

Le carillon de la porte d’entrée sonne. Un homme élancé mais costaud entre, monte le demi-étage jusqu’à la salle d’attente et on se salue en toute simplicité. Jonas a 23 ans et est fonctionnaire. Il vient pour son bras droit, soit une séance d’une journée entière. Il semble ennuyé et parle à Jérôme comme à un ami. Pas tout à fait. Plutôt comme à un ami médecin. “J’ai commencé ce tatouage dans un autre studio. Et cela ne s’est pas bien passé. Il m’a mis un pansement que j’étais censé porter trois jours. Au bout de 6 heures, je n’en pouvais plus, tellement cela me grattait. Le lendemain j’avais des croûtes de 5 millimètres. Mais Jérôme va m’arranger ça.” De fait, le tatouage polynésien que porte Jonas sur l’épaule et le triceps a très mal vieilli. Il est normal qu’au fil des années, l’encre s’étale un peu sous la peau. Mais celui de Jonas est déjà brouillé après quelques semaines. Et l’épiderme qui le recouvre est ridé. “C’est dû à une allergie à l’encre utilisée, commente Jérôme. Ici, nous utilisons des encres anallergiques. Je vais compléter le reste du bras en tenant compte des muscles et pour ce qui est déjà fait, je vais recouvrir les endroits trop dépigmentés”. L’enlever? Jonas n’y songe pas. Le jeune homme grimace tandis que le dermographe officie près du coude - un des endroits les plus sensibles du corps – en bourdonnant comme un gros moustique. “La technique n’est pas au point à 100 %, explique Jérôme. Et il faut de nombreuses séances. Donc, un tattoo, c’est beaucoup plus cher à enlever qu’à poser. Et c’est une demande de plus en plus fréquente. Bien entendu à cause du retour de l’effet de mode. Mais surtout à cause de la qualité du travail. Il n’y a pas que des bons tatoueurs. Aujourd’hui il suffit d’avoir une certification “hygiène”, en gros “comment se laver les mains”, pour s’installer. La profession n’est pas protégée et c’est regrettable.” Angela, toujours en discussion avec Selina, semble se décider pour une nouvelle esquisse. La tatoueuse suggère de prendre un autre rendez-vous. Il est hors de question pour elle de graver un regret dans la peau.

Styles de skin en stock

Il y a de très nombreux types de tatouages visibles et… invisibles. Le “old school”, ce sont les pin-up à la Amy Winehouse, les ancres de marin, les éléments graphiques des années 50 et 60. Le “new school”, c’est une déclinaison actuelle du précédent intégrant des personnages de bandes dessinées ou de mangas. Il y a le style réaliste, pointilliste, tribal, celtique, polynésien, asiatique, ou encore “watercolor” qui reproduit la technique de l’aquarelle. Le plus surprenant est sans doute le tatouage UV connu également sous le terme “blacklight”: il consiste en l’insertion sous la peau d’une encre invisible qui réagit dans l’obscurité à la lumière noire.

@D.R.

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