
Mélanger ludique et éducatif, c'est le but des "serious games"

Assassin’s Creed est pour certains une façon de vivre l’histoire. Certains professeurs y ont recours en classe. De même, Minecraft, le Lego virtuel fait la joie des leçons de géométrie. Daniel Bonvoisin, spécialiste de l’éducation aux médias au sein de l’ASBL Média Animation, enseigne l’approche socio-éducative du jeu à l’Ihecs et confirme: ”Le jeu est le processus d’apprentissage par excellence. Il fonctionne sur les essais-erreurs. Le joueur s’y améliore en permanence et y est évalué en continu”. Pourtant, les jeux précités ont été conçus pour donner du plaisir. Ce sont les pédagogues qui les ont transformés en outils. Seul, pas sûr qu’un joueur lise les explications historiques des missions d’Assassin’s Creed. Ou qu’il les retienne. Ni que l’investissement temporel soit rentable, par rapport à une heure de cours et l’étude d’un manuel. Dès lors, d’autres jeux se développent, où le divertissement est un outil pour apprendre. On les appelle “serious games”. Ce sont nos anciens jeux éducatifs, mais appliqués à tous les domaines: management, publicité, info, éducation, sensibilisation… Aujourd’hui, c’est tendance.
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Donner à vivre
”Jouer pour apprendre”, c’est la baseline de Drag On Slide. Cette société montoise développe des programmes de formation pratique par le jeu vidéo. Pour Carrefour, elle a créé Réassort, qui prépare les magasiniers au remplissage des rayons. L’ULB a fait appel à l’équipe pour Game Of Beams, qui enseigne les règles de stabilité aux étudiants en architecture. KBL forme aussi ses private bankers aux réglementations européennes via une de leurs applications (www.dragonslide.tech). Ces serious games qui inculquent des savoir-faire se développent tous azimuts, et font aussi appel à la réalité virtuelle, comme Shortcircuit qui apprend l’électricité sans risque. L’autre genre ludique à la mode, les escape rooms, se décline à des fins didactiques. Engie en a ouvert une jusqu’au 24 novembre pour apprendre l’économie d’énergie (Meir 13, engie.events.idioom.com). Technocité en a inauguré une ce mois pour faire découvrir les métiers des TIC aux jeunes, entre 12 et 18 ans (escapegame.technocite.be). L’immersion fonctionne pour les apprentissages pratiques. “On obtient également de bons résultats en mathématiques, domaine de l’abstrait”, complète Daniel Bonvoisin. Dans le genre, on conseille Pythagorea ou GeoGebra (sur l’App Store et Google Play). La fonction ”entraînement cérébral” des applications de vocabulaire, de calcul mental ou de conjugaison qui pullulent, opère aussi (voir les apps Hachette ou, pour l’orthographe, Projet Voltaire de l’Éducation nationale française). Il s’agit de drill plus que de jeu. La seule motivation, vite épuisée, c’est la tablette ou le smartphone. Sans engagement des parents, l’enfant décroche. Un adulte peut se responsabiliser et suivre ses exercices Duolingo. Un môme, beaucoup moins. Selon le philosophe Érasme, déjà, l’intérêt majeur du jeu pour apprendre tenait à ce qu’il est une ”ruse” pour tromper l’ennui de l’élève. Daniel Bonvoisin confirme: ”La recherche reconnaît unanimement un seul effet: le jeu motive. Il n’est pas toujours facile de faire la part des choses: est-ce le mode d’apprentissage qui est efficace ou son côté motivant?”
Questions de société
Un autre genre de serious games vise à faire passer des messages moraux ou des sujets sérieux. Les ONG et institutions en sont très friandes. Ainsi, Coming Out Simulator met dans la peau d’un ado qui doit annoncer son homosexualité à ses parents. Nowatera, développé par Natagora, défend la biodiversité (www.nowatera.be). La mutualité chrétienne flamande a développé Hospi Avontuur pour aider les enfants à appréhender l’hôpital. Enterre-moi mon amour fait vivre le parcours d’une migrante (sur Google Play et l’App Store). ”Ces jeux ont souvent le défaut d’être très narratifs, de ne pas laisser le joueur libre. September 12th représente une réussite. Pour le joueur, la mission était d’envoyer un missile pour tuer un terroriste. Au passage, il sacrifiait des civils. En réaction, d’autres terroristes apparaissaient dans la population. Au bout d’un moment, la carte était saturée de terroristes. Le message, politique, était que pour gagner, il fallait arrêter de tuer des civils. Mais ce contenu nécessitait un débriefing.” L’exemple du Monopoly illustre la nécessité d’explication et d’accompagnement. Lorsque Elizabeth Magie invente en 1903 The Landlord’s Game (premier nom du jeu), elle dénonce la nature antisociale du monopole sur le sol. On ne gagne qu’en écrasant les autres. Pourtant ”c’est devenu le jeu capitaliste par excellence”, commente Daniel Bonvoisin. ”Il était interdit en URSS. À Berlin, en 1989, on a organisé un championnat mondial. Le message s’est dévoyé. Le danger du serious game éthique est qu’il peut être mal interprété. Le serious game, sans cadre, sans paratexte, ne marche pas.”
Les questions qui fâchent…
• L’apprentissage est-il efficace sur écran? L’on entend souvent que l’écran n’induit pas la même mémorisation que la lecture ou l’écriture sur papier.
Daniel Bonvoisin: ”En ce qui concerne le monde abstrait des mathématiques, cela fonctionne. Mais la machine qui apprend à la place d’un humain n’a jamais montré son efficacité. La meilleure situation pédagogique reste celle du directeur de conscience qui apprend l’histoire au jeune prince. Cela passe par la relation”.
• On met en garde contre l’addiction aux écrans et on préconise les jeux vidéo éducatifs?
Daniel Bonvoisin: ”Au XIXe siècle, on craignait l’addiction aux livres, le bovarysme, qui a même été recensé comme une maladie, une forme d’hystérie. C’est le même principe, la peur de voir les gens perdre leur temps. L’addiction aux écrans est liée au contexte familial, social ou psychiatrique des usagers, plus qu’au média”.
Pour en savoir plus:
www.serious-game.fr, blog.seriousgame.be
www.teachergaming.com
“Jeux vidéo et éducation”, Julien Annart, sur www.quai10.be
www.media-animation.be