Le retour des échecs

Le roi des jeux, le jeu des rois et des reines est revenu sur le devant de la scène avec la série The Queen’s Gambit, énorme succès sur Netflix. Un come-back mérité pour ce qui reste un loisir de fou. 
 

@Adobe

À ce jour, la série Le jeu de la dame/The Queen’s Gambit comptabilise 62 millions de visionnages (un record sur Netflix), ça fait forcément des milliers de novices tentés par l’idée de pousser des pions sur un échiquier. Et les statistiques le confirment: depuis l’automne, la requête “échecs” a augmenté de 89 % sur Pinterest. La plateforme Chess.com a vu son nombre d’abonnés grimper, engrangeant parfois jusqu’à 3 millions de connexions par jour. Sur Google, les mots-clés “How to play chess” ont également monté. Depuis quelques années, les pros voyaient ce jeu à l’image vieillotte reprendre du poil du cavalier, pour de multiples raisons: engouement pour les jeux de société, partie d’échecs de Ron Weasley dans Harry Potter et surtout l’essor des versions online et applications comme la déjà citée Chess.com. Jouer sur une app permet d’éliminer bien des “points faibles” de la discipline. On peut y affronter une intelligence artificielle d’un niveau adapté à son expertise. L’avantage de “jouer contre l’ordi” évite aussi la peur de perdre, principal frein à sa pratique. On peut le tourner comme on veut, mais aux échecs, le but est d’écraser l’autre. “Al cheikh mat” signifie “le roi est mort”… Sur smartphone ou par ordinateur, les parties sont plus rapides. Clic, clac, boum, l’affaire est pliée, on peut recommencer, encore et encore. Les parties “blitz” de 5 minutes sont très tendance, même “en vrai”. Des chaînes YouTube ou Twitch (BlitzStream) se sont développées… Ajoutez les confinements à occuper… Le terrain était mûr pour le retour des échecs. Le jeu d’échecs reste un bel objet comme en témoignent les versions signées Hermès, Ralph Lauren ou Lego. Il est addictif, tendu, même brutal. Le jeu active des compétences très variées: concentration, stratégie, logique, situation dans l’espace… Il fait travailler la mémoire. Si on peut avoir “des prédispositions”, on ne naît pas bon joueur, on le devient. Comme l’héroïne Beth Harmon dans l’histoire du Jeu de la dame, il faut pouvoir enquiller les parties, savoir analyser celles des autres, revoir ses erreurs, étudier les stratégies déjà établies (comme le fameux “queen gambit” ou “coup du berger” des débutants). La marge de progression est gigantesque. Gagner est une question d’entraînement. Et de confiance en soi. Sur le fond du jeu, le débat du sexisme reste ouvert: la pièce maîtresse est masculine, invoquent les opposants; mais la plus puissante est la dame, répliquent ses défenseurs, que les premiers et premières mettent en échec en ripostant que donc elle fait tout le boulot… On ne tranchera pas. En revanche, le jeu reste sali de nombreux préjugés sexistes. Qui y joue? Généralement papa ou grand papa qui transmettent le flambeau à leurs héritiers mâles. Cela reste un jeu “pour garçons”. Pas interdit aux filles, même si beaucoup de familles oublient de les inviter à l’échiquier.

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Sexiste?

Champion américain des années 70 (pour avoir battu le champion russe en pleine guerre froide), Bobby Fischer affirmait: “Les femmes sont de très mauvaises joueuses d’échecs. Je ne sais pas pourquoi, j’imagine qu’elles ne sont juste pas assez intelligentes”. Kasparov disait en 1990, parlant de la phénoménale Hongroise Judit Polgar: “Elle a beaucoup de talent mais c’est une femme après tout. Et cela nous ramène aux imperfections de la psyché féminine. Aucune femme ne peut tenir sur des batailles aussi longues”. Il reverra sa copie par la suite et sera
battu, en 2002, par… Judit Polgar. Ce sexisme ambiant mine la confiance en soi des jeunes joueuses. Il faut du caractère, pour affronter les “tu joues bien pour une fille”. Certaines joueuses professionnelles soulignent aussi que l’on n’apprend pas de la même façon: les petits garçons sont entraînés, là où l’on enseigne aux petites filles des coups pour gagner facilement. Dans les clubs, on compte entre 10 et 15 % de joueuses… Du coup, elles ne font pas le poids dans les statistiques et disparaissent des classements. Au niveau professionnel, les championnats existent en versions mixtes (où les hommes sont l’écrasante majorité) et féminines, moins considérées. Cette dualité peut aussi apparaître comme une bonne chose: la possibilité de jouer dans des “safe zones”, sans réflexions machistes ni drague, a permis de développer le nombre de joueuses. Il reste d’énormes progrès à faire… Mais les dames progressent sur l’échiquier

@D.R.

La série Le jeu de la dame est-elle réaliste?

L’héroïne du Jeu de la dame dont tout le monde s’est entiché, Beth Harmon, n’existe pas. Le traitement que lui réservent ses partenaires masculins a aussi été pointé comme bien trop amical et courtois. Mais qu’en est-il de ces fameuses parties, de l’ambiance des tournois, des gestes des acteurs? La série a été applaudie par les spécialistes pour son réalisme. Le réalisateur, Scott Frank, s’est bien entouré. Comme consultants, il a recruté Bruce Pandolfini, entraîneur et expert, et rien de moins que Garry Kasparov, le mythique champion russe. Le premier a réalisé une bible de 350 parties dont il s’est inspiré pour créer les coups de Beth et de ses adversaires. Le second a conseillé les attitudes, la gestuelle… On retrouve en effet de ses mimiques (souvent infectes, dédaigneuses ou triomphantes) dans les poses des protagonistes. On note néanmoins que le silence est normalement de mise en tournoi et que les parties sont forcément bien plus longues qu’à l’écran.

 

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