
Prendre du temps pour soi

Même en vacances, même dans le monde d’après, l’idée de performance continue de guider nos gestes. On ne peut pas “perdre son temps”. Il faut faire. Agir. Se presser. Remplir. Ne pas s’arrêter. Les vacances sont l’occasion de lire tous les livres qu’on a dû postposer pendant l’année, de revoir tous ces amis dont on a été privés pendant un an et demi. Et il y a le cinéma, les restos, les événements culturels. Combien de temps cela va-t-il durer? La menace d’un renforcement des mesures sanitaires nous place dans une situation d’urgence de vivre. Vite, des fois que les portes se referment. Mais stop! Les vacances ne doivent pas être “bien remplies”. Elles doivent être une pause. Ma grand-mère disait: “Il y a toujours quelque chose à faire.” En triant son matériel de couture, j’ai retrouvé sa collection de boutons. Tous cousus, alignés comme à la parade, sur des chutes de tissu. Ma grand-mère cousait des boutons qu’elle devait ensuite découdre pour les coudre au bon endroit. Elle repassait les chaussettes, lavait la vaisselle avant de la mettre au lave-vaisselle et avait honte de consacrer une heure à un puzzle (son plaisir coupable, sur lequel elle n’avançait jamais car elle “avait toujours mieux à faire”). Pour elle, l’oisiveté était mère de tous les vices. La culpabilité était si bien ancrée en elle qu’elle s’inventait plus de tâches domestiques, parfois absurdes, pour ne surtout pas devoir se poser - “je me reposerai bien assez quand je serai morte”, disait-elle. Si on veut être honnête, on a tous hérité d’une part de ma grand-mère. La peur du temps qui passe nous oblige à le remplir, à nous imposer des horaires, à faire des to-do lists. Dimitri Haïkin, psychologue, psychothérapeute et directeur de Psy.be confirme: “Ce besoin de ¬remplir est lié à la peur du vide. Cela témoigne d’une insécurité dans son for intérieur. L’ennui confronte au fait que l’on ne se connaît pas et qu’au fond on ne sait pas vraiment ce que l’on veut pour sa vie. Ça nous renvoie aussi à notre propre finitude: s’arrêter, c’est mourir. Certaines personnes en ont tellement peur qu’ils ne l’expérimentent jamais, or c’est ainsi qu’on trouve du sens.” Réfléchir, c’est déjà une façon de remettre la culpabilité en question et de s’en libérer. “Notez les réflexions qui vous reviennent de votre enfance, conseille le psy. Identifiez ce que j’appelle vos croyances bloquantes: cela peut être des valeurs familiales, des modèles qu’on a présentés comme un idéal, le poids de la culture et de la société, mais aussi des personnes comme des conjoints tyrans, des patrons hyper exigeants. Il faut mettre les choses au point, se dépêtrer de ces emprises, les analyser.” Ne rien faire, c’est faire… Ne pas culpabiliser quand on prend du temps pour soi, ça passe aussi par cette prise de conscience: s’accorder des pauses évite de s’épuiser et d’être moins efficace. Dimitri Haïkin insiste: “Il est important de s’autoriser à prendre une pause car, à terme, ce qui guette tout un chacun, c’est le burnout. Ce n’est pas une fausse maladie, ce n’est pas une mode, ce n’est pas un prétexte pour avoir des congés: c’est une réalité. S’ils se multiplient, c’est parce que notre société les génère de plus en plus. On est dans une époque qui prône la performance, la rentabilité extrême et crée plein d’angoisses liées au futur et à la stabilité. Dès le plus jeune âge, on maltraite les contemplatifs. Je travaille dans les crèches depuis vingt ans et je le constate, même chez les tout-petits. La première question des parents est “Qu’est-ce qu’il a fait?” On se croit obliger de montrer le dessin, d’organiser des séances de gym, des comptines… J’ai proposé des ateliers “rien” qui donnent aux enfants le droit de regarder la pluie tomber, de rester dans un coin, couchés, tranquilles, s’ils en ont envie, des moments où on les incite à se déconnecter.” Lire un livre, regarder une série sur Netflix, snoozer au lit, zoner sur WhatsApp, rester chez soi pour ranger, jouer à Among Us sur son téléphone, faire du shopping - autant d’activités qui, au bout du compte, poussent à dire qu’on n’a rien fait de sa journée. Pourtant ne rien faire, c’est se poser, se mettre en pause. C’est méditer, être attentif à sa respiration, écouter le bruit de la nature ou une musique calme et sans paroles, buller dans un bain. C’est prendre le temps de se retrouver seul avec soi, au calme. “Ces moments de respiration permettent de se reconnecter avec soi, confirme Dimitri Haïkin. C’est aussi l’occasion de profiter de sa créativité. Se mettre en pause fabrique toujours des bonnes idées. La clé, c’est de se donner la permission de prendre des pauses. C’est un droit universel. J’invite certains parents à dire à leurs enfants: “Je ne suis pas disponible de telle heure à telle heure, tu t’occupes comme tu veux mais moi, je ne suis pas là”. C’est d’ailleurs leur rendre service, que de les pousser à l’autonomie… Autre bonne méthode: le sport. Nager et courir relèvent de la méditation. On est protégé de toute forme d’intrusion, on plonge dans une bulle intérieure, juste pour soi.
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Penser au présent
Le présent est le temps du bonheur. Ralentir, c’est aussi une façon de s’inscrire dans le moment, en laissant derrière soi les ruminations du passé et les angoisses du futur. C’est savourer un repas plutôt que l’engloutir en pensant à autre chose, c’est regarder vraiment un film en lâchant l’écran secondaire (téléphone ou tablette) qui peut nous distraire, c’est visiter une exposition sans regarder sa montre ou sans prendre un appel si son portable sonne. C’est aussi, oui, méditer, avec ou sans Petit Bambou… Une pratique quotidienne indispensable, mais qui réclame clairement de l’entraînement. Il ne suffit pas de s’installer en lotus sur un drap rouge pour devenir Matthieu Ricard. Et il ne faut pas, à nouveau, angoisser à l’idée de ne pas arriver à se détendre! ”Le travail, explique Dimitri Haïkin, consiste à ne pas chercher à lutter contre ses pensées. Oui, on risque de remâcher sa to-do list ou ruminer le passer… On ne peut pas s’empêcher de penser. Pour déconnecter, il faut juste les laisser filer. Les observer comme des nuages qui traversent le ciel de notre conscience. Rester centré sur sa respiration. Avoir l’impression qu’on n’y arrive pas, c’est un message de notre refus du changement, message qu’on ne doit pas écouter. On ne médite pas du jour au lendemain, c’est un apprentissage. L’idée est de s’ancrer dans le présent. Vivre le moment, comme un cadeau que l’on se fait à soi-même.” Et si on s’endort? “Cela veut dire qu’on a besoin d’une sieste! Et ce n’est pas plus mal. C’est un art à cultiver, celui de la sieste!"
Pour aller plus loin
Sur Instagram, YouTube, les blogs, le mieux-être et le mieux vivre ont le vent en poupe et créent autant d’influenceurs que la cuisine ou la mode! Pointons la vlogueuse Léna Situations avec son manuel de vie Toujours plus (vendu à 300.000 exemplaires), l’inévitable Marie Kondo ou Ely Killeuse et ses bouquins de body positive attitude. En Belgique, Carolina Vermeersch (www.thelemonspoon.com) est devenue la référence en matière de slow attitude, dans tous les domaines (voyages, visites, consommation…). Une démarche personnelle, devenue professionnelle, qu’elle partage dans son guide, Comment j’ai arrêté de me presser le citron, mélange de témoignage, de conseils de vie et d’infos pratiques qui, sur un ton léger, est agréable et accessible. Un livre feel good qu’on vous conseille de prendre le temps d’apprécier, en picorant chapitre après chapitre et en gardant ce qui semble, dans un premier temps, applicable, petit zeste par petit zeste.
Carolina Vermeersch, Comment j’ai arrêté de me presser le citron, éditions L’attitude des Héros.