Profession: auteur de jeux de société

Si on invente des jeux depuis que l’homme est homme, la reconnaissance de la profession de créateur est très récente. Aujourd'hui, à l'instar des jeux vidéo, les jeux de société ont leurs classiques et leurs stars. On en a rencontré.

créateur de jeux de société
Janosh Kozak exerce un métier très peu connu: il rêve et conçoit des jeux… @ Adobe

Dans les années 70-80, les noms des inventeurs n’apparaissaient pas sur la boîte. On serait bien en peine de citer le nom de l’inventeur de Destins, le jeu de la vie (Milton Bradley, en 1861) ou du Monopoly (Elizabeth J. Magie, en 1904). Aujourd’hui, les noms d’auteurs sont bien visibles à l’avant des boîtes. Le milieu a ses stars dont on attend la prochaine sortie comme on attend le nouveau Spielberg ou le nouveau Stephen King. Ils ont vendu des millions d’exemplaires de leurs jeux dans le monde, Écrire un livre, réaliser un film, on voit plus ou moins comment on procède. Mais concevoir un jeu? Comment fait-on lorsqu’il s’agit de créer un système de règles agissant dans une thématique? Rien d’étonnant à ce que beaucoup des auteurs aient des liens avec les mathématiques. Le Belge Philippe Keyaerts, concepteur du génial SmallWorld, est mathématicien. Ça se sent dans les formules équilibrées qui régissent ce classique où des peuples doivent s’installer sur des territoires.

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Auteur et joueur

Un auteur de jeu est aussi un animal social. Bruno Faidutti, auteur de Citadelles et Mascarade, est historien, donne toujours cours à mi-temps, lorsqu’il n’écrit pas un livre sur les licornes.  Il confesse avoir choisi le jeu “par hasard, un peu par paresse aussi. Je dis souvent que mon rêve ce serait d’écrire des bouquins, mais je n’ai vraiment pas la force. Ça demande une quantité de boulot sans commune mesure avec les jeux. Le jeu permet d’être créatif sans se prendre la tête. Au lieu d’être seul à relire des pages, je teste mes jeux avec des copains en buvant des bières”.

Pour certains auteurs, l’idée d’un jeu peut venir de l’envie de raconter une histoire. C’est le cas d’Antoine Bauza, l’auteur de 7 Wonders, également écrivain. “On parle souvent de la mécanique pour expliquer la création d’un jeu, dit-il. Pour beaucoup, et c’est particulièrement le cas dans la tradition du jeu allemand, c’est le cas. Chez moi, c’est souvent l’inverse. J’ai envie de raconter l’histoire d’un voyage dans le Japon médiéval, et ça a donné Tokaido. Ou celle d’un panda et d’un jardinier et ça a donné Takenoko.

La plupart des auteurs sont des joueurs, des gros joueurs d’ailleurs. Les pères fondateurs allemands du jeu moderne, Klaus Teuber (Catan), Reiner Knizia (Les cités perdues) et Wolfgang Kramer (6 qui prend, Tikal, El Grande) partagent une passion pour les jeux de société qui remonte à l’enfance, “plus ancienne que l’écriture et la lecture”, explique Kramer qui enchaînait les parties avec sa grand-mère. Cyril Demaegd, auteur d’Unlock, se souvient: “Je créais des jeux dès l’école primaire, des variantes du jeu de l’oie, que j’avais transporté dans l’univers des cow-boys ou des chevaliers. Mon frère faisait les dessins”.

Antoine Bauza

Antoine Bauza, auteur star de jeux de société. @ BelgaImage

François Romain, auteur belge de So Clover, le jeu d’associations de mots qui pulvérise les records depuis la rentrée, voit dans sa pratique intense de ce loisir un ingrédient indispensable à la création. “C’est important de jouer pour acquérir une culture ludique, dit-il, pour connaître aussi ce qui existe et savoir si ce qu’on crée est original. L’idée de So Clover est arrivée comme une épiphanie, après une partie d’un autre jeu, qui m’a donné envie de réfléchir à une autre façon d’associer des mots…

Question: vit-on de ce métier? Réponse: certains oui, très bien (vraiment très bien). L’auteur est rémunéré en droits d’auteur. En cas de succès, c’est le jackpot, surtout si le jeu s’installe sur la durée. “L’auteur n’est pas celui qui gagne le plus d’argent sur un jeu, constate François Romain. Mais il ne prend aucun risque. Il apporte son idée qui lui a pris du temps, mais c’est l’éditeur qui investit. On peut gagner de l’argent avec un jeu, mais souvent durant les pre­mières années. Moi, je suis auteur mais je travaille pour un éditeur. La création n’est pas mon métier à temps plein. Le jeu de société est à la fois un milieu professionnel et encore un artisanat.

Histoires de classiques

Dixit (2008), l’un des plus beaux jeux de ce millénaire, est l’œuvre de Jean-Louis Roubira, pédopsychiatre, qui avait envie d’une version visuelle du célèbre Jeu des dictionnaires. Le psy jouait à Dixit en atelier avec des adolescents en difficulté, entre amis, en famille. Il essuie des dizaines de refus d’éditeurs entre 2002 et 2005. “Ce qui était différent par ­rapport aux jeux d’avant, c’est qu’on n’est pas dans la stratégie, commente-t-il. On est plutôt dans une rêverie commune, qui se déroule au rythme des joueurs. Il y a cette petite lumière qui s’allume lorsqu’on cherche une définition qui soit une petite énigme, lorsqu’on cherche la référence au fond de soi, dans son imaginaire.  Dixit est comme un conte de Grimm, le monde n’y est pas tout blanc, ni tout noir. Tout le monde y voit des choses différentes, y projette ce qu’il a en soi.

Quant à 7 Wonders, l’idée de ce jeu de construction de Merveilles, où chacun choisit ses cartes en même temps durant différents âges, est venue à Antoine Bauza d’un manque. “Les jeux de stratégie sont généralement limités à quatre joueurs et très longs avec beaucoup d’attente. J’avais envie d’un jeu stratégique rapide qui puisse se jouer à sept joueurs sans temps mort. Ça n’existait pas. Alors je l’ai créé.” Cet automne, Bauza livre 7 Wonders Architect, autre jeu dans l’univers des merveilles du monde antique. Encore plus rapide, plus simple, mais tout aussi riche, quasi déjà soldout dans les boutiques!

Aventurier du rail

@ Unsplash

Si aujourd’hui Alan Moon pourrait préférer le jet privé au train, vu le nombre de ventes de ses Aventuriers du rail depuis 2004, cet auteur professionnel explique avoir toujours aimé la thématique du voyage. “Une nuit, je marchais à côté de l’océan après avoir testé un jeu de guerre compliqué qui n’avait pas vraiment marché, raconte-t-il. Je réfléchissais à ce que je pouvais faire pour régler ce jeu. Et d’un coup l’idée d’Aventuriers du rail était dans ma tête. Je suis rentré à la maison, j’ai tout noté et ce brouillon représentait 85 % du jeu. Un moment où on se dit “ça c’est génial”, mais je ne savais pas que ça allait faire un carton.

Créateur d’Unlock, Cyril Demaegd, ingénieur en informatique français, passionné de hard rock des années 70, rôliste, auteur et éditeur de jeux fait partie des aficionados des escape rooms de la première heure. “J’ai l’impression qu’en moi cohabitent le Cyril logique, qui teste des stratégies et des règles, et un Cyril délirant, qui apparaît souvent avant mon premier café quand j’ai l’esprit encore embrumé. Ce jour-là, j’étais dans mon canapé et j’ai vu une carte représentant une porte marquée du numéro 10 et une autre carte, avec une clé, indiquant le numéro 5. 10 + 5… Avec 15, boum, la porte s’ouvre. Ça a été un flash. Je pense que j’ai eu la meilleure idée de jeu de toute ma vie.” Aujourd’hui, il en existe dix versions différentes…

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