
Les rooftops, ces nouveaux lieux de vie incontournables

Quand il fait trop chaud, les bouches d’aération ouvertes laissent apparaître les rayons du supermarché. La danse des caddies en contrebas tranche alors avec la quiétude de la toiture, remplie de fraisiers dans des gouttières, de salades à la verticale ou de tunnels de courgettes. Il y a quelques années, quand le Colruyt d’Ixelles a voulu étendre ses quartiers, la commune lui a imposé la condition d’accueillir un projet durable sur son toit. L’administration ixelloise, l’ULB et l’ASBL Refresh se sont alors associées pour créer L(ag)um, une toiture végétalisée dont 900 m2 sont exploités en culture. Une initiative qui a déjà rapporté deux tonnes et demie de fruits et légumes en 2021 et trois l’année suivante. Cet après-midi, dix mètres au-dessus du niveau de la chaussée, place au repiquage de choux après révision des familles botaniques de légumes.
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Marie Godza, maraîchère à mi-temps et formatrice, mène une petite troupe d’apprentis. ”Environ un tiers des récoltes est destiné au restaurant durable Refresh, entame cette grande dame à la voix qui porte. Un autre tiers est réservé aux abonnés, qui viennent en autocueillette récupérer six portions de légumes chaque semaine.” La dernière partie est offerte au CPAS qui la place dans son épicerie sociale. Pour garantir un accès à des légumes que tout le monde ne peut pas s’offrir.
De morne plaine, la toiture a été totalement redesignée en lieu esthétique et pratique. Inclinée, elle permet la récupération de l’eau de pluie qui est ensuite pompée pour arroser les plantations. Un monde végétal en circuit court qui n’est pas sans intérêt. “La question de la récupération des eaux de pluie en ville est cruciale pour éviter de polluer les rivières en mélangeant les eaux dans les égouts, précise Gérald Ledent, professeur d’architecture à l’UCLouvain. Par ailleurs, vu que nos cités vont être de plus en plus chaudes et difficiles à vivre, toute opportunité de supprimer des îlots de chaleur est la bienvenue. Il peut y avoir jusqu’à 10°C de différence entre une zone végétalisée et une autre minéralisée.” À L(ag)um, le travail du sol passe toutefois par une gestion millimétrée du toit. “Le substrat utilisé dans nos bacs est un mélange suffisamment léger pour ne pas menacer la portance, reprend Marie Godza. La conséquence, c’est que le sol n’est pas vivant à la base, on fait donc des recherches pour l’aider à le devenir…”
Véritables pyramides à terrasses, les ziggourats mésopotamiennes seraient les premiers édifices à avoir été dotés de “jardins de toit”, entre -4000 et -600 avant J.-C. Bien plus tard, c’est à un certain Rudolph Aronson que l’on devra l’invention des fameux rooftops. À la fin du XIXe siècle, cet impresario américain revient d’un voyage à Paris convaincu par l’idée de créer des jardins pour les théâtres. Faute de place et de moyens, Aronson s’arrange pour aménager le sommet du Casino Theatre en espace de bar et de danse. “Le mouvement moderne va ensuite prôner la conception de la toiture plate utilisée comme terrasse, rembobine Gérald Ledent. L’architecte Le Corbusier défendait ainsi son installation sur les immeubles d’habitations, comme il l’a fait à la Cité Radieuse de Marseille.” À mesure que le XXe siècle se déroule, l’air conditionné commence à se généraliser et laisse la plupart des toits (re)devenir des lieux de stockage pour générateurs, ventilateurs et autres machines de construction.

rooftop bruxelles ©AdobeStock
Habitat groupé et perché
Avant l’avènement des rooftops ces dix dernières années, Bruxelles a néanmoins connu quelques exemples d’espaces semi-privés en hauteur. Il y a par exemple eu “Ieder zijn huis”, un immeuble à habitations d’Evere dont le toit a été doté d’équipements partagés comme un lavoir, un séchoir, un atelier et une grande terrasse. Puis il y a eu ces quelques habitats groupés comme “CôtéKanal” ou “Tivoli” qui bénéficient d’un large espace collectif en toiture, ou des établissements scolaires tels que l’Athénée Robert Catteau, dont la cour de récréation repose sur le bâtiment.
Aujourd’hui, les toits des villes accueillent aussi bien de l’agriculture urbaine que des jardins publics ou, évidemment, des cafés et des restos. “L’intérêt principal pour l’Horeca, c’est la vue, commente l’architecte Gérald Ledent. Prendre un verre au sommet d’une ville n’apporte pas la même expérience qu’à terre: on ne regarde plus les gens, on se focalise plutôt sur les bâtiments, on est dans une contemplation abstraite.”
On profite du soleil plus longtemps, aussi, au point de pouvoir assister à son coucher, une scène plutôt rare en ville. Pour les autorités, c’est également l’occasion de revitaliser des quartiers de bureaux complètement morts en soirée. “Reste que n’importe qui ne monte pas sur un rooftop: il faut montrer patte blanche, nuance Ledent. Cela pose la question du partage de l’espace en ville.” Heureusement, tous ne demandent pas une cravate ou un C.V. de branchitude pour profiter du panorama. La preuve avec cette sélection de Moustique.