
Peut-on apprendre à faire l'amour?

Tout le monde sait faire l’amour. Surtout aujourd’hui où tout le monde regarde tout le monde faire l’amour. Dans les séries, au cinéma, sur les sites pornos, dans les romans. Il suffit de lever la tête: le sexe est omniprésent autour de nous. Mais cette inflation de sexe, signe d’une société obsédée par la performance et le plaisir instantané, nous aide-t-elle à mieux faire l’amour, partant du principe donc que tout le monde sait le faire? Ça se discute, répond Alexandre Lacroix, directeur de la rédaction de Philosophie Magazine, convaincu que faire l’amour relève aussi d’un apprentissage. La preuve par le titre de son nouveau livre, Apprendre à faire l’amour, qui n’est ni un guide, ni un cahier d’exercices, mais une réflexion sur le sens à donner à nos ébats amoureux. Avec son point de vue et son expérience d’homme blanc hétéro (c’est lui qui tient à le préciser en introduction de son livre), Alexandre Lacroix tourne autour de la chose sexuelle en tentant d’expliquer à ceux et à celles qui ne l’ont pas encore compris que le sexe n’est jamais une obligation mais toujours une partie de plaisirs. Pour apprendre à faire l’amour, il faudrait désapprendre à le faire. Pour bien faire l’amour, Alexandre Lacroix l’affirme, il faut s’émanciper des préceptes et des scénarios que la morale juge acceptables. Pour désigner le non-sens de ce comportement sexuel livré avec mode d’emploi obligatoire, Alexandre Lacroix invente un mot, le “freudporn”.
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“Le freudporn, explique-t-il, évoque les scénarios d’une sexualité dominante qui doivent beaucoup à Freud et à la pornographie. Freud dans Trois essais sur la sexualité en 1905 met en place le concept de cycle sexuel. Un schéma considéré comme sain et complet s’il enchaîne successivement les préliminaires, la pénétration et l’éjaculation de l’homme à l’intérieur de la femme. Les préliminaires qui, je le précise, sont considérés comme secondaires et sur lesquels on ne doit pas s’attarder, sinon c’est considéré comme de la perversion! Ce cycle, qui passe par des étapes prescrites, formate nos esprits. Quant à la pornographie vintage, celle des années 70, elle met en scène une sexualité de couple qui reproduit le cycle freudien avec cette injonction supplémentaire d’être performants. Les deux, Freud et le porno, ont contribué à définir une idée normative du sexe. Or la finalité de l’acte sexuel, ce n’est pas l’orgasme, mais le plaisir de s’explorer, d’explorer l’autre, de jouer, de découvrir toutes les dimensions sensorielles - tant mieux s’il y a orgasme, mais il n’y a pas d’obligation à l’orgasme.”
Naturel et culturel
Si tout le monde est capable de s’accoupler, tout le monde n’est pas apte à voir de quoi il retourne lorsqu’il s’agit de s’explorer ou d’explorer l’autre. Pourtant, les exemples - de Sex And The City à Sex Education, en passant par 50 nuances de Grey et les romans de Michel Houellebecq - sont nombreux à nous prouver que faire l’amour c’est aussi un geste culturel qui se décline selon les orientations sexuelles investiguées. “Beaucoup de gens pensent que la sexualité est naturelle et s’organise autour d’un acte biologique, poursuit Alexandre Lacroix. On serait conduit à faire l’amour par des cocktails d’hormones, par souci de procréation ou de conservation de l’espèce, par des pulsions et des instincts. La sexualité serait une activité naturelle qui exclurait l’apprentissage culturel et social, alors que pas du tout: on apprend à faire l’amour. Ça s’apprend par des rencontres, par les livres de sexologie, par les livres d’arts érotiques, par la pornographie dont la consommation est massive. Pour rappel, les sites comme Pornhub sont les sites les plus visionnés au monde, y compris dans les pays où c’est illégal.”
L’influence du porno
De là à penser que la culture porno peut remédier à nos carences dans le domaine des caresses, il y a un pas que notre philosophe pro-sexe ne franchit pas. “L’influence du porno est indéniable, explique-t-il, même si les notions de performance et de résultat qui y sont véhiculées peuvent être très intimidantes. La représentation de la femme dans le porno pose aussi problème en termes d’éducation sexuelle. Enfin, la catégorisation ethnique des personnes, qui n’est pas acceptable dans la vie courante, est omniprésente dans la pornographie. Sans compter le fait que, sur les sites pornos et sur les applis de rencontre, on peut désormais customiser nos recherches selon un certain nombre de préférences, définir une sorte de cahier des charges qui transforme l’acte sexuel en un geste de consommation comme n’importe quel autre.” Ni sexologue, ni coach, Alexandre Lacroix n’a qu’un seul conseil à livrer aux couples confrontés à une baisse de libido: rafraîchir leurs habitudes. “L’habitude, c’est d’abord le système qu’un couple a installé pour se connaître et se donner du plaisir. Il y a un problème quand le scénario n’évolue plus. Si on ne rafraîchit pas les habitudes, on va à la tromperie ou à la séparation.” À bon entendeur et bonne entendeuse…