Pour se sentir bien, qu’est-ce qui marche?

Michel Lejoyeux, professeur de psychiatrie à Paris, est l’auteur de En bonne santé avec Montaigne. Le philosophe du XVIe inspire encore des concepts aujourd’hui validés. Rencontre.

un homme heureux
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Ce qui fonctionne, ce sont des principes assez fondamentaux. Ce ne sont pas des gadgets ou des nouveautés”, pose le docteur Michel Lejoyeux. Il s’est appuyé sur ce que disait Montaigne pour développer un ouvrage qui distille au travers d’un dialogue avec une patiente pleine de doutes et de questions un art d’être bien dans sa peau et en bonne santé. Ces principes ont été récemment validés par les neurosciences. Notre bien-être dépend ainsi de trois choses. Tout d’abord, nos croyances. Montaigne dit que se croire en bonne santé, c’est déjà commencer à l’être. Ensuite, nos comportements. Nous sommes le résultat de ce que nous faisons: si on boit trop, si on fume trop, si on est sédentaire, on en paiera les ­conséquences. Et puis, il faut une certaine tolérance de ses propres défauts. Vouloir être parfaitement en forme, avoir des vacances parfaites, devenir un superman ou une superwoman qui n’a jamais d’états d’âme ne génère que du stress. Si on met bout à bout ces trois choses, on commence à se ­mettre en place pour aller bien.

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Pour aller bien, c’est important d’avoir des vrais amis. “Ça fait vraiment du bien. Montaigne dit: êtes-vous capable de désigner un ou une meilleure amie? Plutôt que ces mille relations qu’on a avec lesquelles on est sympa, on trouve quelqu’un qui sera privilégié. Des études montrent que quand on a mille relations en ligne, c’est plutôt angoissant parce qu’elles peuvent devenir hostiles. Mais un meilleur ami, avec de l’exigence, de la jalousie, de l’exclusive, c’est excellent. On peut faire l’amitié comme on fait l’amour. Cette exigence amicale va faire du bien. Je propose même de faire un bilan d’amitié. Alors évidemment, il y a aussi la vie de couple. Mais en parallèle, cette amitié exclusive est un facteur de santé. Les neuro­sciences valident l’effet toxique des relations superficielles. Les ados qui ont énormément de contacts en ligne développent une fragilité. Il y a des relations qui solidifient et des relations qui fragilisent.

Plaisir du bavardage

Un autre concept très à rebrousse-poil, et défendu par Montaigne, c’est le droit à l’oubli. Montaigne dit: moi, j’ai une grande qualité dans la vie, c’est que j’oublie. En oubliant, je développe une pensée plus originale. Je suis moins rancunier. Je ne me souviens pas des crasses qu’on m’a faites. Et je parle moins souvent et moins longtemps parce qu’il n’y a rien de pire que les gens bavards qui se sou­viennent de tout. Et étonnamment, des études montrent que les couples qui vont bien ne sont pas ceux qui font des bilans tous les soirs sur ce qui va bien, mais des couples capables d’oublier. En ­termes de psychologie moderne, on parlerait de lâcher-prise.

Une idée très contemporaine veut qu’il faille vider son esprit pour se réserver des moments où l’esprit est totalement dégagé. Montaigne dit que quand il essaie de vider son esprit, il part dans des chimères. Les chimères, ce sont globalement nos angoisses. “Il suffit qu’on essaie de ne pas penser à quelque chose pour que cette chose arrive plus vite et plus fort. Quand on essaie de se vider l’esprit, comme pendant les vacances, on va repenser à notre travail. Cette obsession de l’esprit vide est quelque chose de profondément angoissant. Bien sûr, il faut des moments de repos, de distraction, mais le vide de l’esprit est un mythe moderne qui contribue à beaucoup s’angoisser. La méditation fonctionne, mais c’est quelque chose de difficile. C’est un effort”, estime Michel Lejoyeux.

bien être

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La recherche de sens est importante aussi. ­Montaigne dit qu’il faut chercher du sens en dépistant nos grands moments d’incohérence. Montaigne raconte l’histoire d’un chevalier très religieux qui allait tous les jours rencontrer sa maîtresse et qui traversait une église avant de la voir. “Vous imaginez de quoi était faite sa prière au moment où il se recueillait. Montaigne dit qu’il faut se méfier de ces hommes qui sont philosophes en ­paroles et pas en actions. C’est plus dans une forme de politesse et de respect de l’autre que dans un truc très théorique et très désincarné.” Et puis, les petits plaisirs sont bénéfiques. L’un d’entre eux, réhabilité par Montaigne, c’est le bavardage, discuter avec quelqu’un sans tenter de le convaincre et encore plus s’il n’est pas d’accord avec nous. On va ­prendre des moments de partage émotionnel et on va accueillir le dialogue comme producteur de bien-être plutôt que producteur de maladie.

Des légumes et des potes

Et puis, on l’oublierait, mais bien manger serait idéal pour se sentir mieux. Les anciens faisaient bonne chère. Le repas est un moment qui construit la santé. Une étude avait montré la corrélation entre l’alimentation et la fréquence de la dépression. Les sujets qui mangeaient 20 grammes de champignons par jour avaient sensiblement moins d’anxiété et de dépression. Les chercheurs se sont dit qu’ils s’étaient trompés et ils ont refait les calculs. Mais non. Les champignons sont des aliments anti-inflammatoires et antioxydants. “Aujourd’hui, le principe d’une nourriture saine, c’est essentiellement des légumes cuits de manière saine, qui prodiguent plein d’antioxydants et d’anti-inflammatoires. Si on compare le régime chinois classique et le régime plein de burgers et sodas, on voit que ce dernier cause sensiblement plus d’accès dépressifs. Une nourriture saine, consommée avec des amis, de manière souriante contribue à nous faire du bien. Montaigne le dit. Reprendre un peu de gaîté dans le repas me paraît pas mal sans tomber évidemment dans une ivresse pathologique.

La santé, c’est aussi la bonne humeur. Le philo­sophe Alain (Émile-Auguste Chartier) dit: le pessimisme est de nature, l’optimisme est de combat. Une idée difficile aujourd’hui avec l’anxiété écologique et les crises planétaires, bien entendu. “Mais on peut par exemple se promener dans un livre. Il peut y avoir un plaisir à la lecture. Montaigne dit: prenez un livre qui vous plaît. Si je prends un livre que je trouve trop compliqué, je le laisse tomber. Et il dit aussi: autorisez-vous à donner des avis sur tous les sujets, y compris ceux auxquels vous ne comprenez rien. J’adore cette idée de ne pas céder à la dictature de la complexité.

EN BONNE SANTÉ AVEC MONTAIGNE, Michel Lejoyeux, Robert Laffont, 368 p.

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