Le pouvoir des parfums : pourquoi certaines odeurs nous rappellent-elles des souvenirs ?

Directement connectées à nos émotions et à notre mémoire, certaines odeurs peuvent nous apaiser comme nous stimuler, booster notre confiance comme nous rassurer. Explications en odorama.

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Les odeurs touchent nos émotions sans passer par l’intellect. © Adobe Stock

Si l’on a grandi en ville ou près d’une forêt, à proximité d’une station-service ou d’une menuiserie, à côté d’un jardin avec une glycine, des lilas, un magnolia, si l’on a passé ses étés dans l’atmosphère iodée de la mer du Nord ou au bord de la Méditerranée avec ses agrumes et ses pins parasols, si notre grand-mère a porté un parfum chypre capiteux ou si notre père s’aspergeait d’un after-shave “lavande-tabac”, si l’on a été habitué à être réveillé par l’odeur du café et du pain grillé, notre mémoire olfactive s’en souvient. Et si l’on a vécu dans ces effluves particuliers des moments heureux, il se peut que notre nez trouve du réconfort à s’y replonger. “L’odorat est le seul sens qui ne soit pas soumis à la volonté humaine: on ne peut pas arrêter de sentir”, rappelle Olga Alexandre, diplômée en neuropsychiatrie et biochimie fine, professeure de l’École supérieure du parfum Paris-Grasse et cofondatrice de la boutique Parfum d’Ambre à Bruxelles. “En respirant, une partie des molécules va vers le bulbe olfactif, le reste se dirige vers le sang et les poumons. Primitivement, c’est le sens qui sert à prévenir du danger (en détectant par exemple l’odeur de fumée), à trouver de la nourriture et un partenaire pour perpétuer l’espèce (les femmes choisissent le père de leurs enfants 100 % olfactivement). Les odeurs ont comme particularité d’atteindre directement le cerveau limbique, centre des émotions et de la mémoire, sans passer par l’intellect.” Une senteur, on sait tout de suite si on l’aime ou pas. Et “ne pas pouvoir sentir quelqu’un” n’est pas une expression si figurée que cela. “J’ai remarqué que, dans un ­couple, quand on dit qu’on ne supporte plus l’odeur de son conjoint, c’est le début de la fin.

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Même s’il travaille souvent de façon inconsciente, notre nez est hyper-performant: il peut discriminer plusieurs millions de molécules olfactives qu’il a commencé à percevoir dès la vie intra-utérine. ”Le fœtus compose sa bibliothèque olfactive dès le 5e mois dans l’utérus et des préférences se marquent déjà, ne fût-ce que par ce que mange sa maman”, reprend Olga Alexandre. Directeur de recherches au CNRS affilié au Centre des sciences du goût de Dijon, Benoist Schaal a dirigé plusieurs études sur les nouveau-nés. “Dans l’une d’elles, certaines ­femmes enceintes ont suivi un régime spécifique au cours de leurs deux derniers mois de grossesse. Elles ont mangé beaucoup d’ail ou beaucoup d’anis, des aliments aux odeurs en général peu appréciées. Après la naissance, on a fait sentir ces odeurs à des bébés et observé leur réaction. Ceux qui n’y avaient pas été exposés in utero détournaient la tête, grimaçaient, pleuraient, les autres manifestaient l’envie de garder le contact avec l’odeur.

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Par le bout du nez

C’est à l’étroite connexion entre notre sens de l’odorat et notre mémoire que l’on doit nos goûts parfois singuliers en matière de senteurs. Nez à Grasse pour la maison de composition Expressions Parfumées (elle vient de signer le nouveau jus Kogaï For Her d’Annayake), Élodie Bernard ­explique: “Lorsque le cerveau perçoit une odeur pour la première fois, il la mémorise, la décortique mais il enregistre aussi le contexte. Quand on sent à nouveau cette odeur, on retrouve le contexte de cette première olfaction. Une odeur qui nous rappelle un événement heureux va nous plaire. Mais c’est souvent assez inexplicable: on n’a pas conscience du souvenir agréable (ou désagréable) associé.

Certaines odeurs ont également des significations socioculturelles en fonction du lieu où l’on vit et nous imprègnent au quotidien. Elles influencent nos préférences olfactives. “L’odeur de propre pour quelqu’un qui est né en France ou en Belgique, c’est souvent celle du savon de Marseille, reprend la ­spécialiste de l’olfaction, Olga Alexandre. Pour quelqu’un qui a grandi en Allemagne, c’est plutôt le sapin. Pour une personne née en Afrique, c’est le citron. Au Mali, par exemple, le vétiver est aphrodisiaque et porté par les femmes, tandis que chez nous, il s’inscrit dans une tendance de parfumerie masculine.

savon de marseille, l'odeur du propre pour les Français et les Belges

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Tendance bien-être

Aujourd’hui, le parfum comme vecteur de bien-être est une tendance forte. “Nous cherchons de plus en plus à créer des jus qui améliorent l’humeur, précise le nez Élodie Bernard. On formule d’ailleurs avec des matières premières qui ont un impact prouvé sur les émotions. Si on doit composer une brume d’oreiller, elle aide vraiment à s’endormir. Et on sait que certains ingrédients peuvent jouer un rôle important, à un dosage précis. On prend le relais de l’aromathérapie, mais avec un panel beaucoup plus varié d’odeurs et avec l’aide des neurosciences.” Les huiles essentielles sont en effet utilisées couramment de longue date pour leurs effets thérapeu­tiques prouvés. Mais au-delà de ces essences ultra-concentrées, certaines odeurs suscitent un ressenti positif chez une majorité de personnes.

Les senteurs de citron sont utilisées dans des services psychiatriques et cela marche très bien comme antistress, antidépresseur, anxiolytique”, analyse Olga Alexandre qui a elle-même créé une méthode de thérapie par les odeurs, l’OSTMR (Olfactory Stimulation Therapy and Memory Reconstuction), et une rééducation olfactive pour les personnes atteintes d’anosmie à cause du Covid. “La vanille et la noix de coco procurent souvent du bien-être parce qu’elles sont associées au liquide amniotique de la vie intra-utérine, au colostrum et même au lait maternel qui a une odeur de vanilline… Je réalise des tests pour des sociétés qui composent des parfums. Est-ce que tel accord fait baisser le rythme cardiaque et a donc un effet apaisant? On regarde si telle fragrance provoque de la surprise, de l’énergie, du sourire, de l’excitation, de l’indifférence, de la relaxation heureuse ou une détente profonde… Ce n’est pas uniforme pour tout le monde et le parfum évolue dans le temps. Mais je guide les maisons de composition dans leur travail pour les marques et je réalise avec elles en amont des accords qui ont tel ou tel impact émotionnel avéré dans une majorité de cas.”

Des goûts et des odeurs

Une grande partie de notre bibliothèque d’odeurs est due au processus de rétro-olfaction: ce qu’on mâche et mange libère des saveurs et molécules qui montent vers le bulbe olfactif. Beaucoup d’effluves ont donc un lien avec le sens gustatif. De ce fait, les accords gourmands et les notes fruitées remportent souvent un large suffrage en parfumerie. “Ils ­déclenchent le circuit de la satisfaction, c’est aussi ­simple que cela. Ils provoquent le plaisir, poursuit la spécialiste. Selon le moment, le bien-être recherché peut prendre des formes très diverses. Le réconfort peut venir d’accords gustatifs reliés à des souvenirs gourmands de l’enfance (vanille, chocolat, fruits…), comme d’une sensation de liberté, d’une bouffée d’air suscitées par le citron ou des notes marines.” Quant à l’orange et la cannelle, elles réconfortent à la façon d’un cocon protecteur et peuvent transmettre un esprit de fête de Noël. Pour trouver la fragrance qui sied à son état émotionnel, un seul conseil: faire confiance à son flair et oublier ses a priori à l’égard de certaines matières premières, d’autant qu’une note de rose n’est pas l’autre et que notre nez comme notre palais évoluent avec le temps.

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