
En train vers les Balkans : on vous raconte notre voyage extraordinaire

Appuyé sur la rambarde du couloir, Martin tente de capter par la fenêtre les dernières lueurs du jour. Il aurait bien voulu un wagon- restaurant pour savourer le moment, mais dans le Nightjet Bruxelles-Vienne, il n’y a qu’un petit bahut où sont stockés des snacks industriels. Martin est Tchèque, originaire de Brno, à 100 kilomètres de Vienne. Avec son épouse, ils ont rendu visite à leur fille en Belgique. À l’aller, ils ont pris l’avion. Ils voulaient tester le train de nuit au retour. “Pour moi, c’est une sacrée expérience, sourit cet universitaire à la retraite. Avec deux autres voyageurs dans notre cabine, j’ignore si la traversée nocturne sera très confortable, mais je devais connaître ça au moins une fois dans ma vie.”
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Il existe trois catégories de places à bord des trains de la compagnie autrichienne ÖBB. Les voitures à six places assises sont les moins chères (minimum 58,50 €/personne). Ensuite, les voitures couchettes, où les quatre (ou six) voyageurs dorment sur des convertibles du même tissu que les sièges (minimum 97,60 €). Enfin, les voitures-lits constituées de cabines privatisables de trois fauteuils sur lesquels se déplient trois couches (minimum 155,40 €). Un petit royaume de 4 m2 avec lavabo. Montés à bord à partir du quai 5 de Bruxelles Midi, on trouve pêle-mêle quatre potes en t-shirt de groupes métalleux en partance pour un festival, des couples en road-trip, des duos homogènes ou intersexes.
Dans un anglais approximatif, le contrôleur guide les voyageurs. Carnet de notes à la main, il anticipe l’heure de livraison du petit-déjeuner en fonction de la gare d’arrivée. Dans le couloir étroit, les navetteurs se croisent avec un intérêt un rien plus concret que dans un train classique. Le caractère inédit du voyage favorise la rencontre. Ici, deux amies seniors discutent avec deux homologues plus jeunes. Plus loin, des quadras partagent une bière en écoutant de la vieille techno. À 22h30, ils entonnent Ring Of Fire. À l’unisson et avec l’accent allemand. Puis, après 23 h, le silence se généralise. Seul le roulis du train accompagne les passagers, dont les plus élancés opteront pour le lit supérieur et cet espace à valises qui offre un supplément de place. Le sommeil n’est pas aussi total qu’à terre, mais le confort suffit pour faire fi des sept arrêts prévus après minuit. Le voyage en train de nuit n’est ni une aventure extrême ni une croisière de luxe. Lumineux, le réveil se fait à proximité de la photogénique ville de Passau, située au confluent de l’Inn et du Windorf.
Rails de montagne
Après la frontière autrichienne, deux possibilités pour rallier les pays de l’ex-Yougoslavie. Le premier itinéraire passe par Wels, d’où il est possible de rejoindre en une heure Salzbourg. La ville recèle des points d’intérêt comme le jardin et le château Mirabell, l’impressionnante Kapitelplatz et la Forteresse de Hohensalzburg. La Slovénie n’est plus qu’à trois heures de rail. Le train “de jour” d’ÖBB a le confort d’un Thalys, avec un wagon-restaurant. Évidemment, le prix exorbitant du café comprend certainement la vue, mais quelle vue! La rivière Salzach, ces colonies de conifères au pied des pics rocheux, d’immenses champs chargés d’étables en bois et ces montagnes au front blanc qui s’élancent à plusieurs centaines de mètres de hauteur. La sensation de vertige est complète.

© Emilien Hofman
À bord, des habitués comme cet ouvrier en bâtiment ou ce businessman, mais aussi des touristes comme ces Indiens qui dégustent une 50 cl. Sur un long trajet, l’attention est plus facilement portée sur l’autre. On le regarde monter puis descendre, on imagine la suite de son parcours. Le voyage ne se fait pas uniquement par la fenêtre. Sauf à hauteur de Bad Gastein, pour un véritable moment suspendu dans les airs avec panorama sur la vallée de la rivière Gasteiner Ache et les montagnes qui l’encerclent.
Un long tunnel, puis la Slovénie apparaît avec ses impressionnants murs rocheux. Les plus romantiques descendent à la gare de Lesce pour visiter le fameux lac de Bled ou celui de Bohinj. Le paysage se fait ensuite plus sauvage. Le long de la Sava Dolinka, quelques pêcheurs, des baigneurs et plusieurs gares aux couleurs vives dont la géométrie évoque Wes Anderson. Plongée dans sa lecture, Sofia connaît les longs moments d’attente: de Vienne, elle s’est déjà rendue à Hambourg, à Düsseldorf et deux fois en Italie par le rail. “J’apprécie les grands voyages, de jour comme de nuit. C’est assez excitant de pouvoir se déplacer aussi facilement.” Aujourd’hui, elle rend visite à une amie à Ljubljana, où elle pourra découvrir le triple pont Tromostovje, la cathédrale Saint-Nicolas et le château perché Ljubljanski Grad.
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Les amateurs de calme et de nature mettront quant à eux le cap sur le sud du pays, dans les régions de Dolenjska et Bela Krajina, à deux bonnes heures de train de la capitale. “Ce coin constitue un petit monde en soi avec sa propre histoire, assure Angel, le gestionnaire de Gace, un site touristique situé à 1.000 mètres d’altitude. C’est dans la région de Kočevje que vivent les cinq derniers pratiquants du gottscheerish, un dialecte mêlant allemand et slovène, que la résistance slovène a établi son village sous terre en 1943.” C’est aussi là que s’étend Krokar, une impressionnante forêt vierge devenue lieu de résidence des ours.
La Croatie en six heures
Le deuxième itinéraire vers l’ex-Yougoslavie implique de rester dans le Nightjet avant d’enchaîner vers Zagreb, à six heures de là. À quelques encablures du centre, la Villa Daki constitue le point de chute idéal. Pour son confort et sa situation. “Du port de Split, il est possible de prendre des ferries pour visiter les îles Brac ou Hvar voisines”, informe l’hôte Dragana. Ce même port ouvre les portes d’une autre perle des Balkans: le Monténégro, accessible en bateau puis en bus. Cet État est doté de lacs, de montagnes et d’un accès à la mer… même si cette découverte passe par la location d’une voiture. Le train ne peut pas tout faire.
Pour aller plus loin
ÖBB : En voiture-lit puis seconde classe de jour, comptez +/- 200 euros par personne pour rallier Ljubljana ou Zagreb. nightjet.com
Šeruga : Superbe hôtel restaurant au milieu des bois slovènes. seruga.si/fr/
Gace : Une discrète mais complète station de ski et d’activités sportives slovène. scgace.si
Villa Daki : Un Airbnb bien rénové et situé à Split. airbnb.com + Villa Daki
Camp Lipovo : Une sublime cabane en bois nichée dans les montagnes monténégrines. camplipovo.com