«Retour à l'essentiel»: les bienfaits de la céramique

S’asseoir à un tour de potier, modeler des formes, se lancer dans l’art précis des émaux... Le travail créatif de la terre revient en force.

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Des sensations qui rappellent l’enfance, des objets qui font sens. © Atelier de la Magnanerie/WeAreOskar

C'est comme un élan. Comme si les tourments de notre époque nous poussaient à nous réapproprier des gestes élémentaires qui nous ­rendent plus autonomes: faire pousser des légumes, élever des poules, fabriquer son pain, mais aussi apprendre des savoir-faire artisanaux et ancestraux comme la céramique. Né à la fin de la préhistoire, avant le travail du fer ou du métal, cet “art du feu” permet de créer des objets usuels en terre, après une cuisson à haute température. “Travailler la terre au tour amène une espèce d’introspection. Les gestes sont hyper-précis. C’est tout en délicatesse et en finesse, explique le potier Frédéric Mathieu. Il faut être dans l’instant ­présent, établir un lien entre les doigts et l’objet, pour ne faire plus qu’un.” Témoin et acteur de ce “retour à l’essentiel”, Frédéric s’est lui-même récemment reconverti, suite à la crise sanitaire. “J’étais cuisinier mais je ne ­travaillais que le midi, et je me suis inscrit aux cours du soir de l’Académie de ­Braine-l’Alleud. J’ai tout de suite pris goût à la céramique et je me suis tourné vers la vaisselle, vu mon métier. Quand je fais à manger, je réfléchis au contenant. J’ai commencé à réfléchir dans l’autre sens: quelle nourriture mettre dans les ­formes que je tourne. J’aime beaucoup relier l’esthétique à l’utilitaire.

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Pendant le confinement, il a fermé son resto et développé la céramique. “J’ai rapidement été contacté par le chef d’une table gastronomique, Un Altro Mondo, à Wavre, avec qui je crée une vaisselle sur mesure pour des plats spécifiques.” L’Atelier de la Magnanerie a vu le jour en décembre dernier, soit une boutique d’art et artisanat (les pots et les assiettes, dont celles gravées par l’illustratrice Séverine Piette, y voisinent avec des photos, livres, cartes…) qui donne sur un atelier ouvert avec quatre tours, deux fours, des plans de travail, des émaux…

Émaux, émotions

Le lieu accueille des élèves libres autonomes qui souhaitent utiliser le matériel, des “incentives” d’initiation pour des entreprises et des workshops. “On a énormément de demandes. C’est hyper-agréable en termes de sensations. Cela rappelle sans doute l’enfance avec la pâte à modeler, les châteaux de sable… Puis c’est très accessible. On peut déjà être ­content de son premier bol après deux cours. En plus, on fabrique des objets qu’on utilise. Je le vois à la réaction des élèves quand on sort les pièces du four: l’effet est magique.

Les émaux sont le fruit d’une recherche permanente pour Frédéric Mathieu, qui conserve précieusement ses échantillons au mur et les recettes qui vont avec. Il planche actuellement sur des émaux naturels. “Cette démarche permet de ne pas utiliser des oxydes qui viennent du bout du monde, des métaux précieux et semi- précieux comme le cobalt, produits dans des conditions douteuses et toxiques pour la santé. Quand ils sont cuits et figés dans une assiette, il n’y a aucun problème, mais sous forme de poudres, on doit les manipuler avec des masques. En remplacement, on peut par exemple prendre de la rouille, donc de l’oxyde de fer rouge, ou de l’oxyde de cuivre. Dans les émaux, on peut aussi mettre des cendres issues de la combustion de bois, de lavande, de ­fougère… Cela donne des couleurs très subtiles. Et c’est 100 % naturel.”

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© L’Atelier de la Magnanerie / WeAreOskar

À sa juste valeur

Aux antipodes d’une fabrication industrielle et délocalisée, une ­approche naturelle, personnelle et artisanale a bien entendu un prix. Et ce n’est pas toujours bien compris… Amener de la pédagogie, c’est précisément ce à quoi travaille la plateforme Wecandoo, lancée il y a cinq ans en France et récemment arrivée en ­Belgique. “Les fondateurs se sont rendu compte qu’il y avait une réelle déconnexion entre les artisans et le grand public, explique Cassandre Verriest, Country Launcher Belgium chez Wecandoo. Il y a notamment une ­perception d’un prix très élevé à l’égard des produits artisanaux. On a parfois du mal à comprendre pourquoi une tasse coûte 5 € chez Ikea et 20 € chez un ou une céramiste. Wecandoo a la volonté de mieux faire prendre conscience du temps que ça prend, du savoir-faire, des ­compétences, de l’expérience…

La meilleure manière de mesurer la valeur des objets artisanaux, c’est de mettre la main à la pâte soi-même. Sous la bannière Wecandoo, une trentaine d’artisans bruxellois ­animent environ 75 ateliers en échange d’une commission. Sans compter ceux qui opèrent en dehors de cette structure. Selon Cassandre Verriest, l’engouement actuel est surtout criant dans les grandes villes. “Les citadins se sentent sans doute particulièrement déconnectés et ont envie de retrouver plus de sens dans leur travail et leurs loisirs, comme leur façon de ­consommer. Apprendre à fabriquer sa tasse en céramique, c’est également mieux acheter et amener une dimension plus durable à son quotidien. Soutenir l’économie de chez soi, dont font partie les artisans. Le caractère local est important. On a beaucoup de personnes de 25 à 40 ans, mais aussi des familles ou encore des gens qui souhaitent se reconvertir et veulent vivre le savoir-faire avant de sauter le pas et démarrer une formation.”

Atelier de la magnanerie

Un lieu, à Forest, ouvert par Frédéric Mathieu et Séverine Piette, pour découvrir la poterie et la céramique, s’initier, se perfectionner, utiliser les machines, ­acheter des pièces artisanales. www.atelierdelamagnanerie.be

Wecandoo

Une plateforme qui met en lien des ­artisans bruxellois avec le grand public désireux d’apprendre des savoir-faire, tels que la céramique, la reliure, l’ébénisterie, la maroquinerie, la bijouterie, la cosmé­tique, les métiers de bouche… https://wecandoo.fr

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