Métavers: «L’inquiétude, c’est toujours ce qu’on en fait»

Nos esprits trop longtemps confinés sont prêts pour le métavers. Mais en mesurons-nous toutes les conséquences? Réponse avec Olivier Servais, anthropologue à l’UCLouvain et spécialiste des univers virtuels.

un utilisateur du métavers
© Adobe Stock

Pourquoi ce projet de métavers, encore dans ses prémices aujourd’hui, fascine-t-il autant?
Olivier Servais -
Notre société ne fait manifestement plus rêver, d’où ce besoin de se réfugier ailleurs. L’annonce de ce métavers a de plus été faite après un an et demi de pandémie qui nous a enfermés chez nous, avec des perspectives limitées. Face à cette impression de monde fini, le métavers offre une ouverture des possibles. Que nous le regrettions ou non, les GAFA jouent un rôle très important dans le retour des rêves.

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Technologiquement parlant, le métavers est-il un rêve accessible?
Ce n’est pas simple. Pour réaliser le métavers tel que le présente Mark Zuckerberg, Microsoft évaluait qu’il faudrait multiplier par 100, voire par 1.000, la vitesse de calcul de nos processeurs informatiques. Cela ne se fera donc probablement pas avant l’arrivée de l’ordinateur quantique. C’est un saut technologique majeur, il faudra sûrement des décennies avant qu’on l’atteigne. Deuxièmement, il y a la dimension énergétique et écologique: ce genre d’infrastructures digitales consomme une énergie beaucoup plus importante, qui, sans la fusion nucléaire, sera difficile à concilier avec nos objectifs environnementaux. Troisièmement, il faudra faire un choix: à terme, ce n’est pas possible d’avoir plusieurs métavers. Tout comme nous n’avons qu’une seule planète, il faudra avoir une infrastructure unique, à l’image d’Internet. Pré­tendre qu’un métavers immersif bouleversera nos vies d’ici trois ans me paraît très exagéré. Et au-delà des limites actuelles, je pense qu’on va manquer tout simplement de matières premières pour développer ce genre d’infrastructures. Notre horizon s’est appauvri avec la pandémie, une partie des esprits sont prêts aujourd’hui pour ce genre d’univers. Mais si Second Life n’a pas décollé, c’est aussi parce que la technologie n’était pas encore au point, ce qui est toujours le cas. Le risque, c’est qu’une lassitude s’installe. Pour le moment on s’oriente vers le métavers, mais nous en sommes encore loin.

Faut-il s’inquiéter de l’avènement d’un tel monde parallèle?
L’inquiétude, c’est toujours ce qu’on en fait: il y aura de nouvelles questions qui vont se poser, notamment des questions de santé mentale puisqu’on pourra s’immerger dans un univers plus désirable que le nôtre. Mais comme toute création humaine, il faut fixer un cadre: ce qu’on accepte et ce qu’on n’accepte pas. À l’époque, un cadre avait été fixé avec Internet, empêchant que l’accès au contenu soit différent en fonction du tarif de son abonnement. Ici c’est pareil, le cadre devra être posé par les citoyens, et pas seulement par les entreprises et les objectifs financiers. Aujourd’hui, les autorités sont globalement dépassées et ne mesurent pas l’enjeu: cela va recomposer les relations humaines, le rapport à la réalité et aux autres. Il est temps de développer des infrastructures de recherche, notamment en sciences humaines, pour appréhender cette nouvelle technologie.

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