
Plongée dans le métavers avec un utilisateur belge

Au fur et à mesure que nous marchons vers le lieu de rendez-vous, l’excitation monte. Après des mois à entendre parler du métavers, ce monde virtuel parallèle dont le concept a été popularisé l’an passé par Facebook, nous allons enfin nous y immerger pour quelques heures. Jusqu’à présent, il faut avouer que les rouages de cet Internet du futur nous échappent. Passer la porte du bureau de Fabio Lavalle, fondateur de l’agence de marketing digital Pixel Passion, suffit pour comprendre toute la dimension de ce nouveau joujou. “Vous tombez bien, je viens d’acheter mon premier terrain.” Comme dans un jeu vidéo, les utilisateurs du métavers peuvent acquérir des parcelles, construire des bâtiments, organiser des événements. La différence est financière: pour s’offrir une place dans le métavers, Fabio Lavalle a déboursé 15.000 (vrais) euros. “Les prix augmentent en continu en ce moment, mieux vaut donc prendre le train en marche et investir dès maintenant.” L’entrepreneur compte créer un business center sur son terrain virtuel, avec bureaux de coworking, galerie d’art et night-club sur le rooftop. Coût de la facture totale: 40.000 euros. “Il y a trente ans, lorsqu’on voulait créer un site Internet ça nous coûtait 20.000 euros de développement, ici c’est la même chose. Parler du métavers aujourd’hui, c’est comme parler d’Internet dans les années 80: c’est quelque chose de flou, mais qui va devenir the place to be.”
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Flou, oui. À ce stade, on ne sait toujours pas comment accéder à ce fameux Internet 3.0. En réalité, il existe aujourd’hui plusieurs métavers, dont les plus utilisés sont Sandbox, Decentraland et Roblox. Le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, se penche actuellement sur son propre univers, d’où le changement de nom du géant du Web en Meta. Même chose du côté de Microsoft, qui mise sur le rachat de l’éditeur de jeux Activision Blizzard pour se faire une place dans ce nouveau marché. “Un peu comme avec les différentes applications qui existent aujourd’hui, les métavers auront sûrement chacun des spécificités à terme”, croit Fabio Lavalle. Un métavers entièrement consacré à la mode, appelé Zepeto, a d’ailleurs déjà été créé en Corée du Sud. L’entrepreneur montois, lui, a investi dans Decentraland, le plus intuitif selon lui. Nous nous attendions à devoir chausser des lunettes de réalité virtuelle pour plonger dans ce monde parallèle, mais il tourne simplement son écran d’ordinateur vers nous. “Pour aller se balader dans le métavers, il vous suffit d’une bonne connexion Internet”, sourit-il.
Ibiza chez moi
Un clic et une création d’avatar plus tard, nous voilà propulsée sur la place principale de Decentraland, Genesis Plaza. Autour de nous, des dizaines d’autres personnages représentant des internautes du monde entier, avec qui il est possible d’interagir en direct vocalement. Sur la place, de grands panneaux, un peu comme ceux des centres commerciaux, indiquent les événements du moment et autres endroits populaires. En haut à droite de l’écran, une carte permet de s’orienter dans ce grand village virtuel. A priori, rien de très différent d’un banal jeu vidéo. Pourtant, malgré le vocabulaire employé, les utilisateurs ne sont pas uniquement là pour jouer. “L’intérêt pour les entreprises, ou les artistes par exemple, qui investissent dans le métavers, c’est d’avoir une visibilité dans le monde entier.”
Comme dans un annuaire, il est possible de chercher l’adresse d’un magasin de téléphonie mobile ou celle d’une grande marque de vêtements, pour s’y rendre et flâner dans les rayons virtuels, interaction avec le personnel et conseils inclus. Arrivé devant Samsung, les portes restent closes devant le nez de notre avatar. “Tiens, c’est fermé, l’autre jour ils avaient organisé un événement pourtant...” À terme, il sera très certainement possible d’acheter des objets ou même de faire ses courses alimentaires, puis d’être livré chez soi, estime Fabio Lavalle. Fini les sites linéaires, où l’interaction se limite à quelques boutons ou des vidéos. Désormais, le métavers permet une expérience infiniment plus riche… technologiquement parlant, en tout cas. Faute de shopping téléphonique, nous voilà repartie gambader dans les rues virtuelles, à la recherche d’une célèbre discothèque d’Ibiza qui a recréé ses locaux dans ce monde parallèle. “Ici il y a des DJ sets régulièrement et on peut faire danser son avatar. Bon… l’intérêt est limité, on est d’accord!” Si ce n’est, bien sûr, de faire de la publicité pour le lieu réel.

L’entrepreneur montois Fabio Lavalle a déboursé 15.000 euros pour acheter un “terrain” dans le métavers. © Louise Tessier
e-Ldorado
Aujourd’hui, il ne se passe plus un jour sans qu’une grande entreprise n’annonce son entrée dans l’un ou l’autre métavers. Nike a créé son “Nikeland” dans Roblox, Carrefour a acheté une parcelle dans Sandbox, la célèbre maison de vente Sotherby’s a ouvert une galerie d’art dans Decentraland. Une opération de communication avant tout, mais pas seulement. Derrière, se cache une possible nouvelle manne financière dont les entreprises espèrent bien se saisir. Selon une analyse de Bloomberg Intelligence, le marché du métavers pourrait atteindre 800 milliards de dollars d’ici 2024. Les possibilités de faire de l’argent dans ce monde virtuel semblent démultipliées. Au-delà de proposer aux utilisateurs d’essayer la nouvelle voiture de telle marque ou de visiter un hôtel avant d’y louer une chambre dans la vie réelle, le métavers surfe également sur une nouvelle tendance: celle des NFT, “non-fungible token”, comprenez… l’achat d’un objet virtuel.
Certaines marques proposent ainsi déjà aux utilisateurs d’acheter des vêtements virtuels, de leur collection bien réelle, pour leur avatar. Loin d’être dérisoires, les prix s’envolent: en février 2021, l’entreprise RTFKT a mis aux enchères 600 paires de baskets réelles et virtuelles en collaboration avec Nike, pour un gain total de plus de 3 millions de dollars. Une première fashion week sera d’ailleurs organisée fin mars dans Decentraland. De son côté, Fabio Lavalle va bientôt mettre une collection - virtuelle donc - de caricatures signées par l’artiste Carlos Laranjeira aux enchères: ceux qui les achèteront pourront ensuite les utiliser comme avatars dans le métavers. “Nous espérons évidemment que les prix vont grimper”, glisse l’entrepreneur, pointant du doigt d’autres collections d’artistes qui ont vu leurs œuvres virtuelles atteindre des tarifs faramineux en quelques mois. Là-bas, comme ici, la spéculation financière va bon train.
Qui se souvient de Second Life?
Au delà de l’aspect économique, l’Internet du futur pourrait cependant offrir de nouvelles possibilités dans différents domaines, notamment culturel et éducatif. Comme le pointe l’anthropologue à l’UCLouvain, Olivier Servais, le métaverse ouvre une dimension particulière. “J’imagine pouvoir emmener virtuellement mes élèves sur le terrain, pouvoir leur montrer des choses tout à fait concrètement, cela a un avantage sublime au niveau pédagogique”, exprime-t-il dans un éclairage publié par l’université. Sous forme d’avatar, des médecins pourraient s’entraîner sans risque à réaliser des opérations rares, des artistes pourraient présenter leurs œuvres de manière interactive à des citoyens du monde entier, des réunions de travail pourraient s’organiser “comme en vrai”… mais de manière virtuelle. “La semaine passée, j’ai participé à un mariage dans le métavers: les familles n’avaient pas pu se réunir à cause du coronavirus donc la cérémonie a été organisée virtuellement”, rajoute Fabio Lavalle. Ajoutez à cela, à l’avenir, des lunettes de réalité augmentée et une combinaison sensorielle, et c’est comme si vous y étiez.
Ce qui peut aujourd’hui ressembler à un projet fou, voire utopique, n’est pas si nouveau. Début des années 2000, un premier métavers a vu le jour, appelé Second Life. Les analystes de Gartner prévoient à l’époque de son lancement en 2003 que, huit ans plus tard, 80 % des internautes disposeraient d’une seconde vie virtuelle. Finalement le soufflé retombe et l’engouement s’estompe. Sauf que cette fois, la situation sanitaire et les GAFA aidant, la prophétie pourrait bien se réaliser. Au rythme où les choses vont, Fabio Lavalle considère que d’ici deux ou trois ans le concept se sera largement popularisé dans les foyers. “Imaginez aujourd’hui un nouveau confinement, cela accélérera d’autant plus le phénomène.”