Comment protéger ses enfants (ou soi-même) des influenceurs arnaqueurs

Après une série de scandales, l'image des influenceurs est entachée. À charge pour leurs followers de rester vigilants, d’apprendre les codes et fuir les personnalités aux collaborations douteuses.

magali berdah agent des influenceurs
Magali Berdah, propriétaire de Shauna Events, une agence dans la tourmente. © BelgaImage

Comment ne pas se faire avoir par les influenceurs et aider nos ados à éviter les pièges des réseaux sociaux? Les scandales récents ne rassurent pas les parents. Plus de la moitié (59 %) des 18-24 ans disent avoir déjà découvert un produit grâce aux influenceurs et 41 % d’entre eux en ont déjà acheté un, selon l’Observatoire des comportements de consommation. Pire, les études de Karine Charry à l’UCLouvain concluent que l’engagement auprès d’un influenceur peut perdurer malgré une certaine insatisfaction face aux produits recommandés. “Les membres d’une communauté peuvent avoir l’impression d’être des amis de l’influenceur. Il devient alors un trusted advisor. Même si le produit est de mauvaise qualité, il est possible que le follower trouve des excuses à la personne qui l’inspire. Au bout d’un certain temps, les intentions d’achat peuvent diminuer, mais cela n’impacte pas forcément l’engagement envers le profil.

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Les arnaques peuvent donc avoir de lourdes conséquences. Sur Instagram, YouTube ou les autres réseaux sociaux pourtant, rappelle l’avocate Sandrine Carneroli, qui représente des influenceurs, la clarté est de rigueur. Sauf que la théorie ne correspond pas toujours aux pratiques appliquées sur le terrain digital. En France, l’affaire Shauna Events, qui assure la gestion de nombreuses personnalités issues de la téléréalité, en est une illustration médiatisée par Complément d’enquête et le rappeur Booba. L’un des modus operandi serait d’inviter des internautes à cliquer sur un lien et à investir un montant dans des placements financiers en carton.

Fausses réductions

Autre exemple: le drop shipping. L’influenceur joue l’intermédiaire entre le consommateur et le fournisseur. La pratique devient problématique lorsqu’elle est dissimulée ou que les produits en question sont en toc. Or, dans ce cas-ci, il semblerait que des influenceurs de Shauna Events auraient (enquête en cours) facilité la vente de produits qu’ils ne possédaient pas avec une fausse réduction pour enrichir les starlettes du Web, avant de tout simplement les acheter sur des sites à bas prix comme Wish et Aliexpress pour les envoyer aux abonnés. Les enjeux sont tels que le SPF Économie a récemment rappelé à l’ordre une cinquantaine d’influenceurs belges afin de les pousser à plus de transparence, et éviter ce genre d’affaires de grande ampleur. L’administration considère que, pour le follower lambda, “il n’est pas toujours évident de reconnaître un message publicitaire et de comprendre que le créateur de contenu reçoit un avantage à publier un message commercial”.

influenceuse fait du placement de produit

© Adobe Stock

La loi à la rescousse

Les (jeunes) internautes peuvent heureusement compter sur trois évolutions positives: une législation de plus en plus stricte, la présence d’acteurs plus éthiques sur le marché et une meilleure éducation. Commençons par le droit. L’avocat liégeois Florian Ernotte, auteur du livre Droit des réseaux sociaux (Larcier, 2021), évoque deux réglementations importantes. La première concerne les cas de fraude fiscale. Qu’ils soient monétaires ou en nature, sous forme de cadeaux, les revenus générés, s’ils sont qualifiés de professionnels, doivent être déclarés au fisc. Une spécificité est que de nombreux influenceurs sont basés à l’étranger, notamment à Dubaï. “Si leur société est établie en Belgique ou s’ils sont indépendants et résidents belges, ils devront déclarer les revenus de cette activité en Belgique.” La seconde réglementation touche aux pratiques commerciales déloyales ou trompeuses. “Il y a un double risque tant du côté de la marque que de l’influenceur. S’il existe une quelconque forme de rémunération en échange d’une publication, cela doit être mentionné sous peine de sanctions civiles et/ou pénales. Des amendes sont prévues dans certains et peuvent se chiffrer à plusieurs dizaines de milliers d’euros.” En cas d’arnaques, de mauvais conseils d’investissement, de drop shipping ou de mensonges destinés à vendre à produit… les consommateurs peuvent signaler des pratiques trompeuses au SPF Économie ou tout simplement porter plainte en justice. “Les victimes disposent alors de droits spécifiques tels un allongement du délai de rétractation ou la possibilité de résilier le contrat sans frais ni pénalité.”

Des conseils pour vos ados

Sandrine Carneroli rappelle en outre qu’en 2018, le Jury d’éthique publicitaire a publié ses recommandations. “Selon le JEP, des mentions claires, permettant une communication suffisante, sont par exemple #spon, #pub, #prom, #adv, #sample ou autres sortes de hashtags similaires.” Même si l’État dit mener des contrôles, les pratiques des influenceurs restent toutefois difficiles à traquer surtout s’ils n’entretiennent aucun lien avec la Belgique. Dans ce cas-là, les attaquer serait une peine perdue… Face à ces évolutions, assure Julien Latinis, chief operational officer de l’agence Efluenz active en Belgique et en France, des acteurs plus éthiques apparaissent. “L’image relayée par les affaires médiatiques est une image tronquée de la réalité. Dans la plupart des cas, le marketing d’influence respecte une certaine éthique et la législation. Par exemple, chez Efluenz, on ne fait pas de drop shipping et on n’accepte pas que nos clients - des marques - rémunèrent les influenceurs avec des cadeaux. Ce type de pratiques nous semblent néfastes”, rassure-t-il.

À côté du droit et du déclic sectoriel, estime Karine Charry, l’éducation à l’esprit critique reste la meilleure arme des familles et de leurs enfants. “Il faut s’interroger en tant qu’adultes, et interroger les plus jeunes: que penser de tel influenceur? Son opinion est-elle sincère? Pouvez-vous détecter les opérations commerciales facilement?” Julien Latinis termine avec deux conseils. Un: il faudrait se méfier des influenceurs issus de la télé-réalité qui “ne correspondent pas à la définition d’un créateur de contenu”. Deux: mieux vaudrait fuir les collaborations douteuses. “Si un influenceur “sport” se met à promouvoir une boisson alcoolisée, cela prouve que l’ambition est peut-être surtout financière.” Le terrain devient alors propice aux dérives éventuelles.

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