Faut-il en finir avec l'anonymat sur les réseaux sociaux ?

Les nouveaux abonnements payants de Facebook et Twitter permettent de vérifier et valider votre identité. Une parade contre les dérives haineuses que certains assimilent à une atteinte à la liberté d’expression.

anonymat sur les réseaux sociaux
© Adobe Stock

Depuis quelques mois, les réseaux sociaux proposent, chacun à leur tour, à tous les particuliers un abonnement payant contre certains avantages. La plupart ne sont pas encore disponibles en Belgique. Pour 4 € par mois, Snapchat offre plus de possibilités cosmétiques et d’outils pratiques. TikTok permettra à ses abonnés de publier des vidéos plus longues, jusqu’à 20 minutes. Ces plateformes sont toujours gratuites et n’ont pas vocation à devenir payantes (en tout cas à court terme), mais elles changent de modèles économiques. Ces fonctionnalités “premium” sont censées apporter une source de gain supplémentaire. Par exemple, Snapchat Plus, lancé depuis juin dans une vingtaine de pays, a déjà séduit 2 millions d’utilisateurs. De quoi renflouer un peu les caisses.

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Disponible chez nous, Twitter Blue (8 €/mois) permet des tweets plus longs, de les éditer, de voir un peu moins de publicités. Mais surtout, cette souscription certifiera votre identité aux autres membres. Grâce à un petit macaron, ils seront certains que Twitter a bien vérifié que vous étiez derrière ce profil et pas un usurpateur. Mieux, vos publications seront mises en avant. Pratique pour les artistes débutants, les politiciens ou autres leaders d’opinion en herbe. De même, Meta, maison mère de Facebook et Instagram, teste également une offre similaire: contre paiement mensuel, votre compte est certifié véritable, mieux visible et vous donne accès à un meilleur service client. Et si c’était ça l’avenir des réseaux sociaux? Des espaces en ligne où tout le monde peut continuer à partager tout ce qu’il désire, mais avec son identité connue de tous. Verrions-nous encore autant de dérives, entre insultes, harcèlement et fake news, si tout le monde avance à visage découvert?

“C’est le moment de briser l’anonymat”

Xavier Degraux, consultant en réseaux sociaux

Au vu des abus actuels, ce spécialiste de la question se demande si permettre l’anonymat était une bonne idée. “Une vérification de l’identité aurait dû être mise en place dès le début. Mais cela aurait fortement freiné leurs croissances. Peut-être qu’aujourd’hui, il est devenu acceptable de briser cet anonymat pour des raisons de sécurité, pour limiter le cyberharcèlement et la propagation de discours haineux.

Une identification plus poussée des individus, sans pour autant permettre aux États de “cartographier sa population”, pourrait avoir des effets bénéfiques. “Cela réduirait probablement l’agressivité ambiante. Sous son vrai prénom et nom, on réfléchit à deux fois avant d’écrire quelque chose.” Il faudrait en revanche surveiller comment les entreprises vérifient l’identité de l’utilisateur et ce qu’elles font de ces informations. “Cela pose des questions de sécurité. Que deviennent les données aspirées par ce processus d’authentification?” Facebook aura-t-il la carte d’identité de tout le monde dans ses tiroirs? Le consultant note, tant en Europe qu’aux États-Unis, une absence de moyens pour réguler les réseaux sociaux. On ne se soucie pas assez de ce qui s’y passe et de la responsabilité des entreprises aux commandes. “C’est toujours le Far West aujourd’hui. Dommage que les régulateurs aient mis autant de temps à réagir sur les questions d’éthique, de sécurité, mais aussi économiques.” Pour faire face aux dérives, Xavier Degraux prône une augmentation des moyens dans la lutte au niveau national. “Les réseaux, en tant que diffuseurs, ont la responsabilité de tout faire pour diminuer les propos problématiques, mais ce n’est pas à eux de faire la police. Il faut que celle-ci et la justice soient mieux formées et plus staffées pour effectuer le suivi sur ces plateformes. Et réduire l’anonymat permettrait de raccourcir le temps d’enquête et de mieux adresser tous les cas avérés de racisme, de dénigrement et de cyberharcèlement”. Et la liberté d’expression? “On peut crier à la censure, mais un cadre légal existe. Il établit certaines garanties et d’autres limites.” Il craint d’ailleurs que d’ici quelques années les échanges sur Internet soient de plus en plus difficiles à réguler. “Le marché évolue vers une privatisation des discussions. Elles ne seront plus sur Facebook, mais dans des messageries privées, voire cryptées. Les problèmes de manipulation des foules seront plus fragmentés et moins faciles à observer…

“L’anonymat couvre les lanceurs d’alertes”

Alejandra Michel, chercheuse au Centre de Recherche Information, Droit et Société de l’UNamur

“Première chose, il faut savoir que le droit de s’exprimer anonymement est protégé par la liberté d’expression. C’est écrit dans la Convention européenne des Droits de l’Homme. On retrouve d’ailleurs dans la jurisprudence des décisions qui soulignent que l’anonymat sur Internet doit être garanti et qu’à partir du moment où on décide de le lever, il s’agit d’une restriction à la liberté d’expression des personnes”, rappelle l’universitaire.

Cette restriction n’est pas interdite, mais pour cela, il faut remplir trois critères. D’abord, une base légale est nécessaire. Ensuite, il faut qu’il s’agisse d’un acte légitime, pour protéger les droits et libertés d’autres personnes par exemple. Et enfin, il faut que ça soit nécessaire, proportionné. Il ne faut pas qu’il existe une autre solution qui réglerait le problème et qui ne soit pas une atteinte à la liberté d’expression.” Outre l’aspect légal d’une hypothétique fin de l’anonymat sur les réseaux sociaux, Alejandra Michel est partagée quant aux apports bénéfiques d’un tel choix. “Certes, l’anonymat peut être problématique. On a vu les nombreux cas de cyberharcèlement via de faux comptes. Mais cela aurait aussi des répercussions négatives. L’anonymat permet à certains de lancer des alertes, de révéler des scandales, sans craindre de devenir eux-mêmes victimes de harcèlement.

Pourquoi ne pas alors garantir l’anonymat sur le Web sauf sur certains sites bien définis? “Les réseaux sociaux sont d’immenses canaux de communication. Et c’est sur ce genre de plateformes que certains scandales et problématiques doivent être révélés.” La chercheuse serait plutôt favorable à un anonymat de surface: une identité masquée aux yeux des autres utilisateurs, mais connue de la part du réseau social, en cas de besoin. C’est d’ailleurs vers cela que tend la législation européenne avec son Digital Services Act, qui entrera prochainement en vigueur. “Un des volets du DSA dit que les autorités nationales et les régulateurs pourront imposer aux fournisseurs de services numériques de fournir les informations sur leurs utilisateurs en cas de problème légal.

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